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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/689

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surplus, on se réchauffe les uns les autres. Un dortoir n’est jugé confortable que lorsqu’on y est pressé comme des harengs en caque et que personne ne peut se retourner dans sa peau de renne sans obliger ses voisins à se retourner aussi. Avec un peu d’habitude on finit par s’endormir. On en vient même, comme M. Klutschak, à bénir le premier inventeur des maisons de neige et des sacs à dormir ; on reconnaît comme lui a que le monde boréal a autant d’obligations à ce grand homme que le monde civilisé à l’inventeur de la machine à vapeur. » Les iglous ont cependant un inconvénient. Lorsqu’ils ont été longtemps habités ou qu’on y reçoit de trop nombreuses visites, la température s’élève quelquefois au-dessus de zéro et le dôme commence à fondre. Un jour que M. Klutschak écrivait son journal, il fut dérangé dans son travail par de grosses gouttes qui tombaient incessamment sur son cahier. Quelques heures plus tard, ce cahier était un bloc de glace.

Enfin, pour devenir un véritable Esquimau, il faut être un intrépide marcheur et ne compter que sur son pied gaillard pour gagner l’étape. Quant au bagage, on le charge sur un traîneau attelé de chiens. Les attelages de neuf ou de quinze chiens ne sont pas commodes à gouverner. On ne fait bien que ce qu’on aime à faire, et le chien, qu’il vive en Europe ou dans le voisinage de la baie d’Hudson, n’a jamais pu se convaincre qu’il fût né pour tirer. Aussi tirer-t-il de mauvaise grâce. Chacun va de son côté, on se pousse, on se cogne, on se bouscule, les traits d’inégale longueur s’emmêlent, c’est une affaire de débrouiller ces inextricables nœuds.

Il ne faut pas médire des chiens des Esquimaux, ils rendent à leurs maîtres d’inappréciables services. Condamnés à faire un métier qu’ils détestent, ils sont gauches dans leurs mouvemens, mais ils font ce qu’ils peuvent. Ils ont ce genre de courage entêté que les Anglais appellent pluck, ils vont tant qu’ils peuvent aller ; quand ils tombent, c’est qu’ils sont au bout de leurs forces et qu’ils se sentent mourir. À quelles épreuves ne met-on pas leur vertu ! On les fouaille sans miséricorde. La mèche du fouet de l’Esquimau a quelquefois trente pieds de long ; elle s’enroule, elle se déroule en sifflant comme un serpent, rien ne résiste à ses morsures. Il en résulte qu’il y a dans l’Amérique boréale beaucoup de chiens borgnes ou essorillés. On reproche à ces pauvres bêtes d’avoir peu de respect pour le bien d’autrui, trop de goût pour la grande et la petite rapine. D’habitude, on ne les nourrit que de deux jours l’un, et quand les vivres sont rares, il leur arrive de jeûner pendant une semaine entière, sans autre ressource que ce qui leur tombe sous la dent ; mais que trouver dans la neige ? Aussi faut-il faire bonne garde, protéger contre leur voracité le magasin aux provisions, la graisse de poisson destinée aux lampes ou même les vêtemens en peau de phoque, car tout leur est bon pour tromper