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hasard. C’est qu’elle trahit une des préoccupations de Rivarol en même temps qu’une heureuse tendance de l’ouvrage. S’il y avait des et « commencemens » d’un philologue dans le premier Discours, il y a dans le second des « commencemens » d’un linguiste. Rivarol y est tout près de cette conception que la philosophie du langage est une histoire naturelle, et que les langues particulières, comme on l’a dit depuis, sont autant d’organismes. Il n’en a pas l’idée très nette, sans doute, et il ne pouvait pas savoir, mais il en a le sentiment confus. C’est quelque chose. Dirai-je que je crois voir encore, datas le Discours préllliminaire, quelques germes de ce qui deviendra plus tard la philosophie de la nature ? Certaines pensées de Rivarol ont du moins déjà fortement couleur de mysticisme naturaliste. Celle-ci, par exemple : « Il est une foule de philosophes, gens de peu de nom dans ces matières, esprits aventureux qui traitent la nature non avec cette ardeur mêlée. de respect qui distingue le véritable amant digne de ses faveurs, mais en hommes indiscrets, qui ne cherchent que la nouveauté ; la vogue et le bruit, et déshonorent trop souvent l’objet de leurs hommages. » Et encore celle-ci : « L’homme voit maintenant que tout est accord et alliance, que tout est attraction et mariage dans les différera règnes, au dedans et au dehors, et que la nature, formant et bénissant sans cesse de nouveaux hymens, n’est en effet qu’un grand et perpétuel sacerdoce. » Tout cela, j’en conviens, est bien prétentieusement dit, et le temps a passé sur toute cette phraséologie, mais ce sont les pressentimens de Rivarol qu’il s’agissait seulement d’indiquer.

Au surplus, ce n’est pas cette étude du langage qui est le morceau capital du Discours préliminaire ; ce sont les cinquante ou soixante pages qui se détachent de la seconde partie de cette longue préface, et qui sont le réquisitoire le plus vigoureux peut-être que l’on ait dressé contre la philosophie du XVIIIe siècle. Il faut en citer une :

« Les anciens philosophes cherchaient le souverain bien, les nouveaux n’ont cherché que le souverain pouvoir. Aussi le monde s’est-il d’abord accommodé de cette philosophie qui s’accommodait de toutes les-passions. Elle avait un air d’audace et de hauteur qui charma la jeunesse et dompta l’âge mûr, une promptitude et une simplicité qui enlevèrent tous les suffrages et renversèrent toutes les résistances ; et, comme ces philosophes semblaient avoir le privilège de la liberté et des lumières, qu’ils honoraient ou flétrissaient à leur choix, inscrivaient ou rayaient dans leur liste les grands hommes de tous les siècles, selon qu’ils les trouvaient favorables ou contraires à leur plan, ils captèrent, engagèrent et comprimèrent si bien l’amour-propre du public, des administrateurs, des courtisans et des rois qu’il fallut se ranger sous leur enseigne pour faire cause commune avec la raison. On se ligua donc avec eux contre le joug de la religion, contre les délicatesses de la