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embarras sérieux. Il s’est trouvé que ces appréhensions étaient fort exagérées ; aucun nouveau sinistre n’a été signalé au moment du règlement des comptes, et si les taux de report se sont légèrement tendus au Stock-Exchange, par suite de la situation toute spéciale du marché monétaire au-delà du détroit, on n’en pouvait pas moins constater. avec satisfaction que cette liquidation redoutée ne s’était nullement heurtée aux difficultés prédites.

La spéculation parisienne, qui a pour objectif le maintien ou le relèvement des cours de nos rentes et qui dispose de ressources considérables, puisqu’elle est dirigée par quelques-uns de nos plus puissans établissemens de crédit, comme le Crédit foncier, aurait pu mettre à profit ces meilleures nouvelles financières de Londres pour porter définitivement au-dessus de 110 francs le 5 pour 100 converti et faire consacrer ainsi le succès de la conversion par la première liquidation mensuelle survenant après l’événement. Les acheteurs comptaient bien sur cette intervention de la haute banque à la fin du mois ; ils y comptaient d’autant plus que, dans leur pensée, la hausse devait être favorisée d’un côté par les brillantes espérances que donne la récolte prochaine, de l’autre, par le calme et le bon ordre au milieu duquel se sont poursuivies pendant toute une semaine, à Moscou, les solennités pompeuses de la cérémonie du sacre et du couronnement du tsar.

Malheureusement ces calculs optimistes ont été de nouveau déjoués par l’arrivée samedi des nouvelles si douloureuses du Tonkin. Le 5 pour 100 a reculé tout d’abord à 109 francs sous le poids des ventes de spéculation dont les baissiers, saisissant habilement l’occasion, ont essayé d’écraser la place. Le lendemain, la lutte commençait entre haussiers et vendeurs en vue des cours à établir pour la réponse des primes. Les premiers ont relevé un moment le 5 pour 100 à 109.50 ; mais une nouvelle panique s’est déclarée mercredi, la rente se rapprochant encore de 109, mais se maintenant toujours au-dessus du cours rond. Les bruits les plus sinistres se répandaient : massacre des Français à Hanoï, démission du ministre de la marine, rupture des relations diplomatiques entre la France et la Chine. Les agences télégraphiques ont démenti ces rumeurs, mais celles-ci n’en avaient pas moins produit un très fâcheux effet, et provoqué sur toutes les valeurs une dépréciation d’une certaine importance.

A supposer qu’une rupture avec la Chine ne soit pas à craindre, et qu’il n’y ait pas lieu d’attacher une importance excessive au langage violent et haineux de certaines feuilles anglaises, il faut compter que l’expédition du Tonkin nous imposera de bien plus lourds sacrifices, en hommes et en argent, qu’on ne l’avait cru tout d’abord. La situation budgétaire va donc se trouver encore aggravée par des charges imprévues en un moment où la nécessité d’allégemens