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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

ambitieuses, dans les misères d’une existence embarrassée ; l’ancien tribun militaire était forcé d’acheter une charge de greffier pour vivre. La pauvreté lui fut pourtant bonne à quelque chose, s’il est vrai, comme il le prétend, qu’elle lui ait donné le courage de faire des vers ; ses vers eurent beaucoup de succès. Il avait pris le bon moyen d’attirer sur lui l’attention publique : il disait du mal des gens en crédit. Ses satires, où il parlait librement dans un temps où l’on n’osait pas parler, ayant fait du bruit. Mécène, qui était un curieux, voulut le voir et se le fit présenter par Varius et par Virgile. — Ces faits sont connus de tout le monde ; il est inutile d’y insister.

Mécène était alors un des personnages les plus importans de l’empire. Il partageait avec Agrippa la faveur d’Octave ; mais leur façon d’agir était bien différente. Tandis qu’Agrippa, soldat de fortune, né dans une famille obscure, aimait à se parer des premières dignités de l’état, Mécène, qui appartenait à la plus grande noblesse de l’Étrurie, restait volontairement dans l’ombre. Deux fois seulement dans sa vie, en 717, pendant les embarras que causait la guerre de Sicile contre Sextus Pompée, et en 723, quand Octave alla combattre Antoine, il fut officiellement chargé d’exercer l’autorité publique ; mais il portait un titre nouveau qui le laissait en dehors de la hiérarchie des fonctionnaires anciens[1]. Le reste du temps, il ne voulut rien être ; il refusa obstinément d’entrer dans le sénat ; il resta jusqu’à la fin un simple chevalier et souffrit d’être au-dessous de tous ces fils de grands seigneurs que le nom de leurs familles et les mérites de leurs pères élevaient si rapidement aux plus hautes fonctions. Ce désintéressement singulier, qui était alors aussi rare qu’aujourd’hui, n’est pas facile à comprendre. Les contemporains, qui le comblent d’éloges, ont négligé de nous en apprendre les raisons. Peut-être avaient-ils quelque peine eux-mêmes à les démêler : un politique aussi fin ne laisse pas aisément découvrir les motifs de sa conduite. On l’attribue ordinairement à une sorte de paresse ou d’indolence naturelle qui lui faisait peur du tracas des affaires, et cette explication est assez juste pourvu qu’on ne l’exagère pas. Un historien qui ne l’a pas flatté nous dit qu’il savait secouer sa torpeur quand il fallait agir : ubi res vigilantiam exigeret, sane exsomnis, providens atque agendi sciens ; mais il se réservait pour certaines occasions, et, dans les choses humaines, tout ne lui paraissait pas digne de l’occuper. Il aimait la politique ; il en avait le talent et le goût, et ce qui prouve qu’il ne

  1. On croit généralement qu’il avait été nommé par Octave préfet de Rome, prœfectus urbi ; mais un scholiaste de Virgile, qu’on a découvert à Vérone, l’appelle préfet du prétoire, et M. Mommsen pense que c’est bien le titre qu’il a porté et que cette fonction fut créée pour lui.