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ri des autres, il donnait aux Romains la comédie à ses dépens. Son temps se passait à quitter Térentia et à la reprendre : « Il s’est marié plus de cent fois, disait Sénèque, quoiqu’il n’ait eu qu’une femme. » À ces tracas intérieurs se joignirent les maladies. Sa santé n’avait jamais été bonne ; l’âge et les chagrins la rendirent plus mauvaise. Pline nous dit qu’il passa trois années entières sans pouvoir dormir. Comme il supportait mal la souffrance, il désespérait ses amis par ses plaintes. Horace, qu’il entretenait toujours de sa fin prochaine, lui répondait en beaux vers : « Toi, Mécène, mourir le premier ! toi, l’appui de ma fortune, l’ornement de ma vie ! Les dieux ne le permettront pas et je n’y veux pas consentir. Ah ! si le destin hâtant ses coups me ravissait en toi la moitié de mon être, que deviendrait l’autre ? Que ferais-je désormais, odieux à moi-même et ne me survivant qu’à demi ? »

Au milieu de ces tristesses, Horace lui-même se sentait vieillir. C’est une heure grave dans la vie que celle où l’on se trouve en présence de la vieillesse. Cicéron, qui s’en approchait, voulut se donner du cœur par avance, et, comme il se consolait de tout en écrivant, il composa son de Senectute, livre charmant, où il essaie de parer de quelques grâces les dernières années de la vie n’eut pas à faire usage des consolations qu’il s’était préparées, et l’on ne sait si, le moment venu, elles lui auraient paru suffisantes. Je crains bien que cet esprit si jeune et si plein de vie ne se fût résigné qu’avec peine aux décadences inévitables de l’âge. Horace, non plus, n’aimait pas la vieillesse, et il en a fait un tableau assez morose dans son Art poétique. Il avait d’autant plus de motifs de la détester qu’elle avait dû venir pour lui d’assez bonne heure. Dans un de ces passages où il nous fait si volontiers les honneurs de sa personne, il nous dit que ses cheveux blanchirent vite ; pour comble de disgrâce, il avait beaucoup grossi ; et, comme il était de petite taille, son embonpoint lui allait fort mal. Auguste, dans une de ses lettres, le compare à ces mesures des liquides qui sont plus larges que hautes. Si, malgré ces signes trop évidens qui l’avertissaient de son âge, il avait tenté-de se faire illusion à lui-même, il ne manquait pas de gens autour de lui pour le détromper. C’était le portier de Néère, qui ne laissait plus entrer son esclave, affront qu’Horace était forcé de supporter sans se plaindre, a Mes cheveux qui commencent à blanchir, disait-il, m’avertissent de ne pas chercher de querelle. Je n’aurais pas eu tant de patience du temps de ma bouillante jeunesse, sous le consulat de Plancus. » Puis, c’était INéère elle-même qui refusait de venir quand il l’appelait ; et cette fois encore, le pauvre poète se résignait d’assez bonne grâce trouvait, après tout, qu’elle avait raison et qu’il était naturel que l’amour préférât la jeunesse à l’âge mûr :