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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/831

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congédia la milice et les volontaires, ordonna l’élargissement des prisonniers arrêtés en vertu de la loi martiale et déclara que ce régime d’exception cesserait d’être en vigueur. Louaillier fut, en conséquence, mis en liberté, et le juge Hall put rentrer chez lui, Mais l’atteinte portée dans leur personne à la liberté individuelle était trop grave pour rester impunie, et le général Jackson fut assigné à comparaître le 24 mars, à dix heures du matin, devant la cour de district des États-Unis sous la prévention de contempt of the court, à raison du maintien de la détention de Louaillier au mépris d’un writ d’habeas corpus régulièrement délivré et à raison de l’arrestation du juge qui avait délivré l’ordre de mise en liberté.

Jackson parut devant la cour en habit de ville, entouré d’une foule immense qui lui faisait cortège. Il refusa de répondre aux questions qui lui furent adressées, déclarant s’en référer au mémoire rédigé par son défenseur Livingston. La cour le déclara coupable et le condamna sans débat à une amende de 1,000 dollars.

Cette condamnation prononcée contre un général victorieux dans la ville même qu’il venait d’arracher à l’invasion consacrait par un mémorable exemple l’autorité souveraine de la loi, l’inviolabilité de la liberté individuelle et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Mais la grandeur d’un tel spectacle échappe à l’instinct des masses comme aux passions des partis. Les manifestations bruyantes de l’enthousiasme populaire accueillirent Jackson à la sortie de l’audience. La multitude arrêta une voiture qui passait, en fit descendre des dames qui l’occupaient, détela les chevaux et traîna le condamné comme un triomphateur jusqu’à sa maison. Le parti démocratique ressentit comme une injure la condamnation qui avait frappé son héros et en poursuivit la réparation avec une persévérance obstinée. Plus d’un quart de siècle après les événemens que nous venons de raconter, le congrès fut saisi d’une proposition tendant à faire restituer à Jackson le montant de l’amende qu’il avait payée et les intérêts cumulés de cette somme. Deux fois repoussée ou ajournée, cette proposition fut enfin votée le 8 janvier 1844, vingt-neuvième anniversaire de la victoire de la Nouvelle-Orléans.


ALBERT GIGOT.