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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/853

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comte de Mercy-Argenteau, il est parvenu à se faire regarder par les partis opposés comme un homme d’une discrétion et d’une dureté à toute épreuve. Dans ce moment, par exemple, il est à la fois l’ami intime de l’abbé de Montesquiou et de Déport, qui se haïssent cordialement, et il leur inspire à l’un et à l’autre une égale confiance. Trompe-t-il l’un et l’autre ? Non, mais il a des besoins et un but, et dans son propre intérêt il est fidèle à tous les deux. »

On ne saurait mieux dire. Le comte de La Marck voyait alors l’abbé Louis fréquemment. Les rapports se multiplièrent quand il connut ceux de Mirabeau avec Montmorin. Chargé d’abord d’une mission auprès de Joseph II, l’abbé Louis fut en même temps prié par la reine, en avril 1791, de porter à Vienne une cassette contenant ses diamans. A son retour d’Autriche, Montmorin l’avait nommé ministre de France en Danemarck ; mais il ne put même pas se rendre à son poste et il émigra en Angleterre. Mme de Beaumont, après le 18 brumaire, le retrouva à Paris ; il était parvenu, grâce au général Suchet, à obtenir la direction de la comptabilité au ministère de la guerre. Une parole de Mme de Beaumont nous éclaire plus sur la nature de leurs relations durant le ministère de M. de Montmorin que toutes les correspondances anonymes. « Avez-vous vu Louis ? demandait un jour en 1802 M. Mole dans le salon de la rue Neuve-du-Luxembourg. — Il a sa fortune à refaire, » se contenta de répondre en souriant Mme de Beaumont. Personne n’ignore ce que la destinée réservait à l’habileté et à la science financière de M, Louis. En attendant les événemens, il était un des familiers de l’hôtel Montmorin et n’était alors qu’obséquieux et empressé.

Les vrais amis de Pauline de Beaumont, en ce temps-là, furent François de Pange et les Trudaine. Par eux, elle connut successivement Suard, Mme de Krudner, André Chénier, jusqu’à ce que M. Necker étant devenu le collègue de son père, elle s’approcha de la brillante ambassadrice de Suède, Mme de Staël.


IV

Il n’y eut jamais en France, si ce n’est à la fin de la restauration, une plus forte génération, d’une éducation plus accomplie, d’une intelligence plus mûre et mieux préparée à de grands événemens, que cette génération de jeunes gens appartenant aux familles parlementaires, à l’armée, à la finance, à la haute bourgeoisie et atteignant à peine trente ans en 1789. Au premier rang de cette phalange, marchaient François de Pange et deux conseillers au parlement de vingt-six à vingt-huit ans à peine, qu’on appelait à Paris, au dire de Mercier, les aimables et généreux Trudaine. Hospitaliers dans leur somptueux hôtel de la place Louis XV, possesseurs presque