Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/856

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très jalouse de ses amitiés à travers ses habituelles sécheresses, comptait sur ses doigts les vrais fidèles de Chanteloup, et garantissait dans une autre lettre Trudaine de Montigny comme étant du nombre des croyans. Il en fournit une preuve éclatante en consentant à donner devant ce monde choisi lecture d’une comédie en trois actes intitulée le Jaloux puni. Il l’avait composée à l’âge de vingt-six ans, et la pièce avait à son apparition fait du bruit. Collé, dans son journal (mars 1764), n’avait-il pas écrit : « Je regarde cette pièce faite à cet âge comme un phénomène et un miracle. Tous les caractères en sont dans la nature, finement et profondément aperçus. Le dialogue est d’un caractère et d’une vérité que Molière lui-même ne désavouerait pas. L’intrigue est bien liée, les scènes bien enchaînées et filées avec un art admirable. Si M. de Montigny n’avait pas une place distinguée et des occupations sérieuses et qu’il eût été dans le cas de se livrer tout entier à faire des comédies, j’ose dire qu’il aurait eu un rang bien proche de celui de Molière, s’il ne lui eût pas disputé le sien quelquefois. » Il est vrai que Collé corrigea plus tard cet éloge, craignant avec juste raison d’avoir porté trop loin son enthousiasme, mais insistant encore sur le talent que cette comédie décelait.

Étant ainsi doué, Trudaine de Montigny réunit facilement autour de lui un salon. Il y fut aidé par sa femme, Mlle de Fourqueux, fille du conseiller d’état, un instant contrôleur-général des finances avant le second ministère de Necker. Mme Trudaine avait de l’esprit, du goût, un grand fonds de sensibilité, avec un peu d’affectation ; elle se livrait aisément et souvent avait été dupe de son excellente nature. Elle avait tous les soins imaginables pour rendre sa maison agréable et y attirer la meilleure compagnie de Paris. Deux grands dîners par semaine et un souper tous les soirs lui assuraient une société intéressante. Gentilshommes, gens de lettres, la robe et la finance, tous s’y trouvaient rapprochés par la politesse et le talent. Quoique gracieuse, la maîtresse du logis parlait peu ; elle savait écouter. D’une santé délicate, couchée sur un canapé, elle recevait une révérence, un compliment de la foule qui entrait, et lui laissait toute liberté. Chacun s’empressait de s’informer des nouvelles du jour, de la question qui agitait tout Paris, puis sortait comme d’un cercle. Il arrivait même que Mme de Montigny fût obligée de garder la chambre. Sa maison n’en restait pas moins ouverte ; on venait y souper et l’on s’en retournait sans l’avoir vue. « Il y a dix ans, s’écriait un jour devant un de ses familiers la pauvre femme, ennuyée enfin d’être la victime de sa complaisance et de ses aménités, il y a dix ans que je prends bien de la peine pour rendre ma maison agréable et me faire des amis ; aux égards et à