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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/885

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dis-je, qu’on ne trouverait pas au moins la proportion indiquée par le laboratoire parisien ? Je réponds hardiment oui, et j’ajoute que, fit-elle cent fois plus importante, il est probable que les municipalités espagnoles et italiennes garderaient leurs chiffres pour elles et ne verraient pas l’utilité de les proclamer urbi et orbi[1]. » Nous ne verrons jamais d’inconvénient à publier la vérité quelle qu’elle soit. Mais, disons-le, nous sommes convaincus, comme M. Jarlaud, que la proportion des fraudes, relevée au laboratoire municipal, n’a rien d’effrayant. Seulement, ce que nous blâmons, ce n’est pas la publicité des travaux du laboratoire, c’est la manière dont les publications ont été faites. L’opinion publique a été la victime d’un malentendu, et on ne saurait mettre trop de soin à rétablir la vérité des faits.

Actuellement tout Parisien croit, et il a dû croire, qu’il n’avait qu’une chance sur dix d’acheter un vin naturel ; environ trois chances sur dix, de se procurer de bon lait ; une sur deux pour le beurre et le fromage ; une sur trois pour les sels, poivre et épices, et pour le chocolat. Ces chiffres résultent des Documens sur les falsifications des matières alimentaires et les travaux du laboratoire municipal, publiés par la préfecture de police.

Mais c’est là une erreur, — et les chiffres sont mal interprétés. Rappelons-nous comment les produits à analyser arrivent au laboratoire. Ils sont apportés, soit par des acheteurs qui ont à se plaindre de leurs achats, soit par les trente-deux experts dégustateurs qui parcourent les magasins et examinent les marchandises. Ce sont donc toujours des produits suspects. C’est parmi ces produits suspects, contrairement à l’attente des plaignans ou des experts, que les chimistes du laboratoire rencontrent des échantillons irréprochables et écartent la prévention. Autrefois la prévention aurait été maintenue contre tous. Aujourd’hui elle est écartée pour le dixième des vins suspects, pour le tiers des laits, pour la moitié des beurres et fromages. Il ne faut pas s’étonner du grand nombre des poursuites, mais au contraire du grand nombre des acquittemens. En disant : « Il y a dix bons tonneaux de vin sur cent chez les marchands de vin de Paris, puisque telle est la proportion établie par le laboratoire, » on a fait à peu près le raisonnement suivant : « Il y a dix acquittemens sur cent accusations de vol, devant le tribunal de police correctionnelle. Donc sur cent Parisiens, il y a quatre-vingt dix voleurs. » La proportion des mauvaises boissons et des mauvais alimens serait énorme si les échantillons étaient pris au hasard. Mais ils ne le sont

  1. F. Jarlaud, Rapport présenté à la chambre de commerce de Paris, le 21 février 1883, au nom de la commission des douanes, entrepôts et marchés.