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mêmes glaciers, qui a dû être presque aussi longue que l’autre, et nous ne trouverons pas exagéré le chiffre de cent mille ans proposé par M. de Mortillet comme exprimant la durée de l’époque glaciaire. Mais l’époque de l’extension, puis du retrait des glaciers, a été précédée elle-même d’une période « chelléenne » ou « préglaciaire, » et tous ces calculs approximatifs réunis conduisent M. de Mortillet à adopter un total de plus de deux cent mille ans, qui représenteraient la durée entière des temps quaternaires, pendant lesquels nous sommes assurés de la présence de l’homme sur le sol européen.

L’homme est donc prodigieusement ancien, — du moins selon notre façon d’apprécier et de comprendre le temps ; car ces deux cent mille ans, si effrayans qu’ils semblent au premier abord, sont peu de chose en regard des myriades de siècles qu’il faudrait invoquer s’il s’agissait d’énumérer la série des périodes géologiques antérieures à celle où l’on commence à découvrir des traces de l’homme, série immense d’âges successifs que termine le quaternaire, la plus récente et sans doute aussi la plus courte de ces périodes. — Mais, si l’homme se montre en Europe à une date qui nous semble reculée, d’où venait-il et comment a-t-il pu s’étendre non-seulement sur le sol de notre continent, mais à la surface du globe entier ? — Les races humaines répondent-elles à des unités distinctes ou bien peut-on concevoir un point de départ originaire, une « région mère, » d’où l’humanité serait sortie un jour pour occuper les diverses parties de son domaine ? La science, — je ne parle pas ici, bien entendu, des solutions religieuses, — a-t-elle du moins des conjectures à mettre en avant à ce sujet, et peut-elle les appuyer de quelques indices ?

La polygénie, ou autrement dit la pluralité d’origine des races humaines, a été admise de nos jours par bien des esprits. Le plus éminent a été Agassiz, qui, dominé peut-être par les préjugés de son pays d’adoption, concevait les principales races humaines comme autant de produits géographiques d’un certain nombre de régions déterminées, chacune de ces régions ayant servi de centre à une création partielle, ayant ses plantes aussi bien que ses animaux, marqués dès le commencement de caractères inaltérables. Cette compréhension dogmatique, autant que mystique par certains côtés, de la nature vivante, qui élevait l’espèce à la hauteur d’un archétype, du concept d’un être, divin réalisé à l’aide d’une sorte de révélation, ne s’accordait guère avec les faits ; elle blessait à la fois les idées religieuses en divisant la souche humaine, et les tendances. philosophiques vers la fraternité et la solidarité des races. Elle tranchait d’une façon assez peu heureuse le problème qui subsistera toujours, soit qu’on efface outre mesure, soit qu’on exagère à