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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/937

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toute envie d’indiscrétion, il multipliait les propos salés. « Vous ne publierez pas celle-là : » écrivait-il triomphalement au bas d’une de ses fins de non-recevoir. Précaution inutile ! Mme de Méritens publiait tout de même, et nous devons à sa vaillance de pouvoir citer le fragment suivant, qui montre les Françaises du XIXe siècle d’accord avec les Anglaises du XXIe sur les moyens propres à frapper et à séduire les imaginations féminines. La lettre de Béranger est du 9 décembre 1837. «… Mais l’histoire ancienne vous fait-elle oublier ce que vous devez à la grande affaire de notre époque ? Je veux parler de l’émancipation de la femme… J’ai eu des nouvelles de vos assemblées et j’aurais fait volontiers soixante lieues pour y assister. Quoi ! vous étiez présidente ? Quoi ! vous et vos acolytes portiez de larges rubans rouges ! Mais, vraiment, cela devait être d’une magnificence et d’une grandeur à désespérer Dupin avec son crachat et M. Pasquier avec sa fameuse robe puce. Et que de beaux et d’éloquens discours on prononçait là ! m’a assuré la dame qui les a entendus et qui m’a prédit qu’il en résulterait infailliblement l’asservissement de notre sexe : heureux encore qu’on nous laisse la vie, par simple intérêt de propagation ! .. » La fin est trop gauloise pour être donnée. Retournons à l’armée du comte de Chester, que nous avons laissée marchant sur la capitale sans défense.

Le gouvernement britannique d’alors (il faut lui rendre cette justice), perdit beaucoup moins la tête que ne l’ont fait quantité de gouvernemens mâles placés dans des circonstances analogues. Ses troupes avaient disparu sans combat, il lui restait les horse-guards, soldats d’élite s’il en fut, choisis parmi les plus beaux hommes du pays et admirablement disciplinés. Il n’y avait pas à craindre que les horse-guards lâchassent pied devant l’ennemi : on leur donna l’ordre de se porter au-devant des insurgés.

La beauté et la docilité de ces magnifiques régimens furent ce qui perdit l’état. Quand les femmes des horse-guards apprirent qu’on allait faire tuer et balafrer ces Apollons pour que la duchesse de Dustanburgh, âgée de soixante-cinq ans, pût épouser un mari de vingt-deux ans, elles se mutinèrent sous prétexte que la querelle ne les regardait pas et mirent leurs maris sous clé. Ceux-ci avaient été élevés depuis leur enfance dans la pensée que l’obéissance conjugale est le premier et le plus sacré des devoirs. Ils se laissèrent enfermer et il ne resta en ligne que deux petits tambours orphelins et un sergent veuf. Le gouvernement reconnut que c’était trop peu et renonça à la résistance. Les pairesses se déclarèrent en séance permanente ; les vieilles se préparaient à mourir sur leurs chaises curules, les jeunes voulaient voir les uniformes, car le bruit courait que le comte de Chester, en entrant à Londres, marcherait directement sur la chambre. Une pairesse entre deux âges, connue par l’ennui profond que lui causait la