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tique coloniale plus active, elle laisse en Europe bien des obscurités, — une Angleterre qui ne cache pas sa mauvaise humeur et cette triple alliance formée depuis quelques mois au centre du continent. Voilà la vérité ! L’Angleterre, malgré tout, n’a point évidemment des intentions hostiles contre notre pays ; elle ne songe pas, selon toute apparence, à nous susciter des embarras, à mettre des armes dans les mains des Chinois, et M. le ministre des affaires étrangères n’a peut-être pas été bien habile en laissant trop voir ses soupçons, en disant dans un mouvement d’impatience : « Nous savons qu’on travaille à exciter la Chine et nous savons qui l’excite. Nous voyons des passions qu’on croyait assoupies pour toujours se réveiller avec violence. » C’est beaucoup dire. Ce qui reste vrai, c’est que l’Angleterre, accoutumée à la domination dans l’extrême Orient, ne voit sûrement pas sans ombrage arriver une nouvelle puissance coloniale. Les rapports deviennent difficiles, c’est bien certain, et avant de s’irriter, il faudrait se demander si la politique suivie par les divers cabinets français depuis quelques années n’a pas contribué, par ses hésitations, par ses perpétuelles contradictions, par ses défaillances, à créer ces difficultés dans les rapports des deux pays. — La triple alliance, de son côté, n’est point sans doute une menace immédiate. Elle n’existe pas moins, elle n’a point été inspirée, à coup sûr, par une pensée de sympathie pour la France, — et ici encore, ici surtout, on pourrait se demander si notre triste politique intérieure n’est pas ce qui a le plus facilité cette alliance imprévue de l’Italie avec l’Autriche et avec l’Allemagne. Que l’Italie ait cédé à de puériles jalousies, à de médiocres ressenti mens, nous le voulons bien ; mais elle a obéi aussi à une pensée toute conservatrice en se mettant en garde contre des propagandes révolutionnaires. Ses orateurs ne le cachent pas, ils le répétaient tout récemment encore, et, ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’en poussant l’Italie vers l’Autriche et vers l’Allemagne, nos cabinets trouvent encore le moyen de s’aliéner chaque jour une puissance morale dont l’appui pourrait nous être précieux, — la papauté. De telle sorte que nos gouvernemens ont contribué eux-mêmes à créer pour la France cet isolement qui n’est pas sans péril. Le résultat est évident, et c’est là justement ce qui fait que si on veut poursuivre avec fruit des desseins extérieurs, il faut se décider à en revenir à une politique intérieure offrant des garanties à tous les pays autant qu’à la France elle-même.

Les questions religieuses ont eu certes depuis quelques années et ont, encore un grand rôle dans le monde, dans la plupart des états de l’Europe aussi bien qu’en France. Elles se mêlent à tout, à la politique intérieure de tous les pays, aux combinaisons de la diplomatie, aux alliances qui se forment. Elles sont le plus souvent l’embarras de ceux qui se figurent pouvoir les résoudre par la violence. S’il y a une chose évidente pour les politiques avisés, c’est qu’on ne manie pas les intérêts