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dans une guerre avec la Chine pour des délimitations insaisissables, pour des définitions de suzeraineté ou de protectorat qu’il vaut peut-être mieux laisser dans l’ombre. C’est pour prévenir toute complication de ce genre que notre représentant à Pékin, M. Bourée, avait eu l’idée d’ouvrir, l’an dernier, une négociation avec un des premiers dignitaires chinois. Ce qu’il avait fait n’était point un traité ; c’était un projet proposé sous là forme d’un mémorandum, impliquant, de la part de la Chine, la reconnaissance de notre protectorat au Tonkin, établissant, d’un autre côté, aux frontières une zone de neutralité entre la France protectrice des provinces tonkinoises et le vaste empire oriental. Ce projet n’a point été adopté à Paris ; M. Bourée a même été brusquement rappelé, remplacé par un agent nouveau ; et c’est là justement ce qui laisse tout incertain. M. le ministre des affairés étrangères, ayant l’autre jour à s’expliquer devant le sénat sur l’objet de notre expédition, sur la nature de nos rapports avec la Chine comme sur les motifs du rappel de M. Bourée, s’est étendu en longs et brillans développemens. Il n’a pas trop réussi, en réalité, à éclaircir tous mes mystères. Il n’a pas fixé les limites d’une expédition qui, selon les circonstances, peut rester un protectorat ou devenir une annexion, une occupation indéfinie, il n’a pas dit non plus quelles instructions avait notre agent nouveau pour renouer la négociation interrompue par le rappel de M. Bourée, pour établir avec l’empire du Milieu ces « relations cordiales » dont il a parlé. Ce qu’il y a de plus clair jusqu’ici, c’est que nous allions dans ces régions de l’Annam et du Tonkin, aux bords du Pleuve-Rouge, avec l’espérance de pouvoir établir presque pacifiquement là prépondérance française, — comme aussi avec la chance de rencontrer sur notre chemin des résistances, des embarras de plus d’une sorte qu’il faudra vaincre. Il reste en tout cela un inconnu avec lequel notre diplomatie et les organisateurs de l’expédition militante du Tonkin auraient certes tort de ne pas compter ; mais ce n’est là encore, à vrai dire, qu’une partie de la question, et toutes les difficultés de notre entreprise ne sont pas en Orient, dans ces contrées lointaines où nous allons porter notre drapeau ; elles sont peut-être bien aussi en Occident, dans les dispositions des puissances avec lesquelles nous sommes en incessans rapports, dans un certain ensemble de situation européenne.

Cette situation, on ne peut malheureusement s’y tromper, n’est rien moins que simple, rien moins que favorable à des entreprises lointaines, et c’est dans des conditions assez compliquées que la France part pour les bords du fleuve Rouge. La France n’a sans doute à consulter que ses intérêts, la dignité de son drapeau, et elle a le droit, après tout, de dire qu’elle accomplit une œuvre civilisatrice en ouvrant à tous les peuples des routes nouvelles. Il n’est pas moins certain qu’en allant aux extrémités du monde avec la pensée d’une poli-