des genres ; tout s’y pousse et s’y heurte dans la même scène, le grandiose et le ridicule, la souffrance et la facétie ; vous ne savez jamais comme elle va secouer votre âme, si ce sera de terreur, de pitié., de rire ou de colère : souvent le tout ensemble dans le cours d’une minute, — Le matin de Pâques, Faust rêvait aux voix confuses de la foule sur les places ; il se sentait homme en écoutant toute cette humanité frémissante, ressuscitée pour un jour du fond des logis noirs de la vieille ville souabe. Qu’est-ce qu’une foule, une ville ? Vous êtes-vous jamais trouvé dans une bibliothèque, la nuit, après que la vie présente s’est tue, assoupie pour quelques heures, comme elle s’endormira demain pour l’éternité ? Alors, dans le silence du présent, la vie passée se ranime autour de vous, elle bruit dans ces petits volumes, vous entendez la voix des milliards d’hommes qui ont été depuis des milliers d’années ; leurs peines et leurs joies murmurent, vous donnant l’illusion du tumulte des siècles ; les figures connues se pressent au premier plan, les myriades d’inconnus s’agitent confusément dans les lointains. Un grand mystère se joue pour vous seul, un mystère comme ceux qui émerveillaient les auditoires du moyen âge, la Passion de l’humanité ; les héros, les traîtres, les bouffons se succèdent, ils reviennent, disent leur bout de rôle, s’évanouissent dans la catastrophe finale ; le perpétuel artisan de cette catastrophe, c’est ce personnage noir qui ne quitte pas la scène et règle la comédie ; Holbein l’a peint dans le cimetière de Bâle, Orcagna dans celui de Pise. O le merveilleux dramaturge, comme il s’entend à composer les spectacles qu’il nous donne ! Je voudrais retracer ici une de ses œuvres les plus achevées.
Ce fut en Russie, il y a un peu moins d’un siècle, le 17 avril 1796. Ce jour-là, l’histoire était partout en travail. Bonaparte emportait le pont d’Arcole, sa gloire s’illuminait au soleil d’Italie, dans le fracas du canon. Le grand drame et le grand acteur qui retenaient là-bas l’attention du monde ont fait tort au drame qui se jouait à la même heure, dans la nuit du Nord, au Palais-d’Hiver, où Catherine expirait. Le héros faisait tant de bruit, dans son ascension prodigieuse, qu’on entendit à peine passer la vieille souveraine. D’ailleurs la Russie d’autrefois n’aimait guère à raconter ses histoires, les témoins des événemens publics étaient peu expansifs ; s’ils confiaient au papier leurs impressions, c’était pour des amis surs et des tiroirs fort secrets. Aujourd’hui ces tiroirs commencent à se vider. Depuis quelques années, les érudits de Pétersbourg et de Moscou ont ouvert une vaste enquête sur leur passé. Comme le moine-chroniqueur Pimène, dans les beaux vers de Pouchkine, la Russie « allume sa lampe, secoue des parchemins la poudre des