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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/165

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passe-t-il de l’autre côté de la cloison, dans la chambre de celle qui s’en va ? — « Le corps gisait dans la même position, sur le même matelas, immobile, les yeux clos. Le râle sourd de la gorge s’entendait dans la pièce voisine. Tout le sang refluait à la tête, qui s’empourprait par momens d’une vive rougeur. Les médecins de la cour, agenouillés devant ce corps, étanchaient à chaque minute l’humeur jaune d’abord, puis noire, qui coulait de sa bouche… — Marie, la vieille femme de chambre de Catherine, était toute à sa douleur et à sa maîtresse, elle la servait comme si elle allait se réveiller ; il semblait que son âme fidèle s’élançât à la suite de l’âme immortelle de l’impératrice. » Quelques instans avant la fin, Rostoptchine rencontre Zoubof. — « Le désespoir de ce favori ne peut se comparer à rien. Je ne sais quel sentiment agissait le plus fortement sur son âme ; mais la certitude de sa chute et de son néant se peignait non-seulement sur son visage, mais dans chacun de ses mouvemens. En traversant la chambre de l’impératrice, il s’arrêta à plusieurs reprises devant le corps et éclata en sanglots. Je consignerai ici une de mes observations. Comme j’entrais dans la salle dite de service, je trouvai le prince Zoubof assis dans l’angle ; la foule des courtisans s’écartait de lui comme d’un pestiféré ; épuisé de fatigue et de soif, il ne trouvait pas à qui demander un verre d’eau. Je lui envoyai un laquais et versai moi-même la boisson que lui refusaient ceux-là qui, vingt-quatre heures auparavant, bâtissaient sur un de ses sourires l’édifice de leur fortune ; cette salle où l’on s’écrasait pour approcher plus près de sa personne s’était changée pour lui en une steppe déserte. » — Avais-je tort de dire que c’est là du Saint-Simon des grands jours ?

A neuf heures du soir, Roggerson entra dans le cabinet de l’héritier, annonçant que l’impératrice passait. La famille et les hauts dignitaires se réunirent dans la chambre. — « Cette minute est présente à ma mémoire jusqu’à ce jour et ne s’en effacera pas jusqu’à ma dernière heure. Nous étions groupés autour du matelas. La respiration se faisait courte et rare. Tantôt le sang se précipitait à la tête, déformant les traits, tantôt il refluait aux extrémités, rendant au visage son expression naturelle. Le silence de tous les assistans, les regards de tous, uniquement fixés sur ce grand objet, l’oubli durant cette minute de toute chose terrestre, une faible clarté dans la chambre, tout nous remplissait d’horreur et annonçait l’approche rapide de la mort. Le premier quart de onze heures sonna. La grande Catherine soupira pour la dernière fois, et, confondue avec les autres, se présenta devant le tribunal du Tout-Puissant. »

La minute donnée aux pensées éternelles passe vite. — « Tandis que la chambre retentissait des cris et des sanglots des femmes de