Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ce qui vient d’arriver à M. Bright à propos de la célébration de ses noces d’argent parlementaires dans la ville de Birmingham, qu’il représente depuis vingt-cinq ans à la chambre des communes.

Comme la popularité est inconstante ! comme tout peut changer en un moment pour un homme public ! Il n’y a que quelques jours, M. Bright allait fêter à Birmingham le vingt-cinquième anniversaire de son élection ; il était accompagné des sympathies de tous les partis, même des conservateurs, qui tenaient à honorer en lui un des plus éminens personnages parlementaires. La foule l’entourait d’acclamations. Des députations sans nombre lui étaient envoyées avec des adresses inscrites sur des albums somptueusement illustrés, et on lui offrait même, avec son portrait, de riches services de table comme souvenir. Une foule immense et cordiale lui faisait cortège. Ce jour-là, le vieux parlementaire, l’ancien collègue de M. Gladstone au ministère, était dans l’éclat de la popularité ; le lendemain, tout avait changé et les journaux de toutes les nuances, libéraux et conservateurs, rivalisaient de violences, de polémiques injurieuses contre lui ; on le traitait un peu comme un vieux Cassandre qui avait fait son temps et qui n’avait plus qu’à prendre sa retraite. On le couvrait d’ironie et de sarcasmes ; les plus indulgens se bornaient à l’appeler un esprit étroit. Que s’était-il donc passé ? M. Bright avait fait un discours, même plusieurs discours à Birmingham. On lui aurait passé sans doute ses idées humanitaires et toujours quelque peu chimériques sur l’abolition des armées, sur la suppression définitive de tous les tarifs et sur un certain nombre de questions politiques auxquelles on ne s’intéressait guère pour le moment ; mais M. Bright a osé parler de la France avec sympathie en reprochant à certains hommes de n’avoir d’autre politique que de tout envenimer, de vouloir brouiller l’Angleterre avec notre pays. Il a arboré hautement la politique de la paix, de la bonne amitié avec la France. Dès lors, il n’était plus bon à rien ! Du jour au lendemain, il a été déclaré perdu ! Eh bien ! oui, dans bien des affaires, M. Bright peut être chimérique tant qu’on voudra ; il a eu du moins le courage, et ce n’est pas le courage qui lui a jamais manqué, de faire entendre une parole de modération, de raison au milieu des excitations anglaises du jour, d’avouer avec éclat le prix qu’il attache à des rapports de cordialité avec notre pays. Il n’a pas craint d’exprimer la confiance que lord Granville « fera tout ce qui est en son pouvoir pour ne suivre qu’une conduite judicieuse, — judicieuse en ce qui concerne toutes les nations, bienveillante et amicale vis-à-vis de la France. » C’est son crime, il en a été puni aussitôt par les polémiques acerbes qui le poursuivent depuis les ovations éphémères qu’il a reçues à Birmingham.

Ce qui a surtout choqué ou irrité le sentiment anglais, c’est l’opinion que M. Bright a exprimée avec son éloquence un peu âpre sur deux questions autour desquelles on a fait beaucoup de bruit à Londres