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où, servant de secrétaire et de confidente à son père, elle avait partagé avec lui les illusions que faisaient naître les affirmations hardies, la foi audacieuse de Mirabeau.

Son apostrophe : « Silence aux trente voix ! » dans les premiers jours de 1791, avait, plus que toutes les indiscrétions, annoncé publiquement son changement d’opinion ; mais Montmorin n’avait confié à personne le secret de ces communications, lorsque, sur la prière du roi, coïncidant avec un désir de Mirabeau, communication du plan fut donnée à Malouet[1]. « C’est votre faute, lui dit Montmorin en l’abordant, si vous êtes si tard et si mal instruit. Vous nous avez abandonnés avec humeur, et vous avez dans votre modération une telle inflexibilité qu’étant bien sûr de vous trouver toujours au moment du besoin, je n’ai pas couru après vous. » Il lui fit alors le récit de toutes les négociations ; il ne lui dissimula même pas qu’il était dépositaire d’un bon de 2 millions que Mirabeau devait toucher dès que les affaires auraient pris une meilleure tournure. Il recevait en attendant 10,000 francs par mois.

La cour se figurait que le meilleur moyen d’arrêter la révolution était aussi d’en gagner les chefs. C’était Montmorin qui était chargé de cette besogne ; une partie de la liste civile recevait cet emploi[2]. Elle ne payait pas moins de 34,000 livres par mois. Ces corruptions systématiques étaient à la fois une erreur et une duperie. La révolution, suivant l’expression de Mme de Staël, n’avait que des chefs invisibles : c’étaient des croyans à certaines vérités, et nulle séduction ne pouvait les atteindre. Il faut transiger avec les principes en politique et ne pas s’embarrasser des individus, qui se placent d’eux-mêmes dès qu’on a bien dessiné le cadre dans lequel ils doivent entrer. Ces transactions avec les consciences ne rencontraient à chaque pas que des déconvenues.

Depuis que le comité des finances avait réclamé la communication du livre des pensions, depuis que Montmorin avait été obligé de prouver qu’il n’avait pas fait passer d’argent à l’empereur, le département des affaires étrangères était l’objet d’attaques continuelles, surtout dans son personnel. Heureusement que Mirabeau était membre du comité diplomatique et qu’il accablait de sa supériorité le rapporteur Fréteau, la commère Fréteau, comme il le nommait dédaigneusement. Il ne put cependant empêcher l’assemblée d’adopter un décret qui causa les plus graves embarras. Ce décret fixait la pension de retraite des ambassadeurs et des ministres plénipotentiaires. Les jacobins, en le votant, n’avaient eu qu’un but : le renouvellement. du corps diplomatique. Les motions

  1. Mémoires de Malouet, chap. XV.
  2. Mémoires secrets de Bertrand de Molleville, t. II, p. 141.