qui, n’étant pas même électeurs, se laissent dire qu’ils sont des citoyens libres, sous l’égide de la « constitution britannique, » toute farcie de monopoles et de sinécures au profit d’une église cupide et d’une noblesse arrogante. Les amis de Cobden ont éprouvé quelque surprise en lisant ce passage de sa correspondance ; ils se sont appliqués à excuser l’hommage rendu au despotisme, et surtout la violente sortie, presque un blasphème ! contre la constitution de l’Angleterre. La date de la lettre est bien vieille : Cobden était jeune ! Il a écrit cela sans trop y penser : il ne faut donc point lui garder rigueur pour cette page familière, griffonnée à la hâte sur une table d’auberge. — L’excuse est inutile. En maintes rencontres, Cobden a prouvé qu’il n’était pas disposé à se pâmer dévotement devant cette fameuse constitution anglaise, incrustée dans la tradition et enchâssée dans le respect des siècles ; il l’a critiquée, il l’a réformée. D’un autre côté, Cobden ne saurait être convaincu d’avoir jamais été l’adulateur ou le champion du despotisme. Ce qui apparaît clairement dans sa lettre de Berlin, c’est la préoccupation constante et peut-être exclusive des résultats obtenus par les gouvernemens quant à la somme de bien-être dont jouit le peuple. En politique, il n’aura jamais d’autre visée, et il conservera cette originalité (puisque malheureusement c’en est une) jusqu’au bout.
Ce fut en octobre 1838 que Cobden organisa, à Manchester, une association pour l’abolition des droits sur les céréales. Deux années auparavant, il s’était formé, à Londres, une société qui se proposait le même but, mais elle n’avait recruté qu’un très petit nombre d’adhérens : c’était plutôt un groupe parlementaire, composé des députés radicaux qui étudiaient ensemble, dans des réunions préparatoires, les motions qu’ils devaient présenter à la chambre des communes. La majorité, dans le parlement, était si manifestement contraire à toute idée de réforme que l’on ne pouvait attendre aucun succès des efforts de quelques députés, dont l’action n’était pas assez puissante pour influer sur les destinées des cabinets. Il fallait que la pression vînt du dehors et que l’opinion publique pénétrât dans les chambres par la voie des pétitions. Manchester était beaucoup mieux choisi que Londres pour devenir le centre du mouvement. Cette grande métropole industrielle représentait avec autorité les intérêts manufacturiers de toute l’Angleterre ; plus qu’aucune autre région, le Lancashire souffrait de la crise prolongée qui frappait à la fois les manufacturiers sans travail et les ouvriers sans pain ; la misère du peuple était extrême par suite des prix de famine auxquels un tarif exorbitant avait élevé le cours du blé et de toutes les denrées alimentaires. La chambre de commerce de Manchester se montra donc très disposée à seconder la nouvelle association et à délibérer avec Cobden sur les termes de la