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les influences du parti tory ; mais il conservait pour l’avenir l’appui du parti libéral, et il lui était presque permis de triompher de sa défaite, qui fut célébrée à l’égal d’une victoire. Ses amis organisèrent une souscription d’un penny pour lui offrir, selon l’usage anglais, un don commémoratif ; dix-sept mille souscripteurs répondirent à l’appel, et, pour que la démonstration populaire fût complète, O’Connell vint donner à la fête l’éclat de sa présence et de sa parole. Tous les journaux rendirent compte de ce meeting tenu à Stockport le 13 novembre 1837, avec processions, drapeaux, discours et fanfares. Quel coup de fortune, quelle réclame pour le jeune candidat, dont le nom était ainsi lancé à tous les échos de la Grande-Bretagne par la voix retentissante d’O’Connell ! Cobden alors paraissait bien humble auprès de son illustre chaperon ; il débutait, à côté du chef d’emploi, dans son futur rôle d’agitateur ; mais cette représentation donnée à son bénéfice lui procurait une leçon qu’il n’oubliera pas sur la manière dont il faut parler aux foules. On peut dire que, ce jour-là, O’Connell couvait Cobden. Ce même jour, en recevant, à l’ombre d’O’Connell, les premiers éclairs de la popularité, Cobden sentit s’affermir en lui sa prédilection instinctive pour les études sociales, pour les réformes qui se proposent l’amélioration du sort du peuple. A la vue de la foule hâve, déguenillée, misérable qui lui faisait cortège dans les rues de Stockport, il prit la résolution de se vouer à la cause des pauvres et des faibles. Ni tory, ni whig, ni radical, mais, avant tout, redresseur des abus sociaux, adversaire des lois iniques, réformateur, en un mot, pour l’égalité, pour la justice et pour le peuple : tel était déjà Cobden après son premier échec électoral et sous l’impression de cette grande démonstration populaire où le patronage d’O’Connell et les acclamations de la foule venaient de lui tracer sa voie.

Il est utile de noter à quel point, dès le début de sa carrière, Cobden se désintéressait des systèmes et des formes politiques. Il fit, en 1838, un voyage en Allemagne. La Prusse était alors soumise au régime de la monarchie la plus absolue et au joug non moins lourd de la bureaucratie : cependant, la correspondance de Cobden nous le montre plein de bienveillance à l’égard de cette bureaucratie et de cet absolutisme : « Je croirais presque, écrit-il de Berlin, que, pour la masse du peuple, la Prusse possède le meilleur gouvernement de l’Europe. » Il observe que l’organisation du Zollverein, qui doit assurer un jour la domination de la Prusse sur l’Allemagne, a donné un grand essor au travail et aux échanges ; il constate que l’administration est économe et prévoyante, que la nation est instruite, modeste dans ses goûts et satisfaite, et il conclut en souhaitant pareille condition à ces douze millions d’Anglais,