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chancelleries ; il vit les rois et même les reines, il n’eut garde de négliger le pape, qui lui parut, d’ailleurs, avoir d’excellentes dispositions pour le libre échange, il conversa avec tous les personnages considérables, avec le prince de Metternich, avec le comte de Nesselrode, et bien d’autres ; il passa de longues heures à enseigner à tous les ministres du commerce ou des finances qui se trouvaient sur son chemin l’excellence du free-trade, et les moyens de s’en servir tant pour le bien des peuples que pour l’avantage des gouvernemens. Plus d’une fois sans doute, il dut se souvenir de son ancien métier de commis-voyageur, lorsqu’il débitait ses prospectus et déballait sa marchandise devant les chalands. En 1847, l’article libre échange n’était point-de facile défaite. Cobden s’en aperçut à l’indifférence ou aux objections qu’il rencontra presque partout dans le monde officiel. Les uns lui disaient que leurs lois commerciales donnaient à peu près satisfaction aux besoins du pays et qu’il valait mieux s’y tenir ; les autres, que la réforme douanière troublerait les traditions, les préjugés, les intérêts, les finances publiques. Que deviendrait la caisse si les tarifs étaient supprimés ? La caisse était le gros argument, plus fort que Cobden. Finalement, Cobden n’avait guère converti que le pape Pie IX : s’il avait réussi dans la mission d’ambassadeur du peuple anglais qu’il s’était donnée auprès des peuples de l’Europe, il échouait dans la mission de propagande qu’il venait d’entreprendre auprès des gouvernemens. À ce dernier point de vue, son voyage à travers l’Europe n’avait point produit les résultats qu’il en espérait ; mais Cobden n’était pas habitué à se décourager. Il observait que la plupart des états de l’Europe étaient encore soumis à des gouvernemens d’ancien régime, à d’arbitraires délimitations qui, en Italie, en Autriche, en Allemagne, devaient prochainement disparaître, à l’influence des vieux politiques, des Metternich, des Nesselrode, qui, n’ayant plus qu’un court temps à vivre, le passaient à conserver avec acharnement les institutions restaurées par eux, et qui allaient bientôt laisser le champ libre pour les nouveautés et les réformes. Nous lisons dans le journal de Cobden : « Vienne, 10 juillet 1847. Metternich est probablement le dernier de ces médecins politiques dont le regard ne s’attache qu’aux symptômes extérieurs et qui se contentent d’appliquer leurs remèdes au jour le jour, sans jamais sonder au-dessous de la surface pour y découvrir la source des maux qui affligent l’économie du corps social. Avec lui disparaîtra cette race d’hommes d’état, parce que désormais on voit trop clair dans ce qui se passe au fond des officines gouvernementales pour permettre à celles-ci d’imposer à l’humanité leurs vieilles formules. » — Cobden notait ainsi le désaccord qui commençait à se prononcer entre les peuples et leurs