une lettre et un émissaire de lord Palmerston, qui lui offrait le poste de ministre du commerce dans le cabinet qu’il était chargé de former.
C’était un véritable coup de théâtre. Pas n’est besoin de dire que, pendant la retraite de Cobden il y avait eu deux changemens de ministère ; les tories avaient renversé les whigs ; puis les whigs avaient renversé les tories, et c’est ainsi que lord Palmerston, après une courte éclipse, était revenu au pouvoir. En outre, la chambre des communes avait été dissoute, et Cobden, alors qu’il voyageait en Amérique, était élu député à Rochdale. La résurrection de l’homme politique était plus que complète, car au siège de député se joignait, de la façon la plus inattendue, l’offre d’un siège dans le cabinet. Les personnes qui n’entendent rien à la politique peuvent s’étonner que lord Palmerston ait songé un seul instant à prendre Cobden pour collègue. Il y avait, en effet, entre ces deux hommes une antipathie de doctrines et une incompatibilité d’humeur qui s’étaient manifestées en toute occasion. Cobden avait combattu sans relâche et très violemment la politique du noble lord. Le noble lord n’était pas en reste ; il lui arriva même une fois de conseiller à Cobden un petit séjour dans un hospice d’aliénés ; ces aménités se supportent dans les parlemens. Lord Palmerston eut d’ailleurs l’attention de dire le premier à Cobden, dans son entrevue quasi-ministérielle, qu’il en avait, pendant toute sa vie, donné et reçu tant et tant de ces coups de langue, que cela ne tirait pas à conséquence, et que, quant à lui, il avait pour règle de les oublier au bout de trois mois ; il le pressa donc d’accepter le ministère du commerce, où il rendrait de grands services, et d’entrer dans le cabinet, où il pourrait défendre et faire prévaloir ses idées sur la politique générale. Cobden refusa, malgré les conseils de ses amis. Il lui parut que la conciliation entre les idées de lord Palmerston et les siennes sur la politique extérieure était vraiment impossible, que le désaccord éclaterait à la première occasion, et qu’il valait mieux, de part et d’autre, ne pas contracter une fragile union qui aboutirait fatalement à un prochain divorce. Peut-être aussi pensait-il que le nouveau chef du cabinet ne tenait pas autrement à l’avoir pour collègue, et qu’il voulait uniquement, en diplomate qu’il était, désarmer par un bon procédé un adversaire dont il redoutait la puissance. Finalement, la carrière ministérielle de Cobden s’arrêta sur le seuil. Il y eut pourtant un épisode. Répondant à une invitation qu’il lui était difficile de décliner, Cobden alla présenter ses hommages à lady Palmerston. Il figura pour la première fois dans le salon aristocratique de Cambridge-House, où son apparition fut l’événement de la soirée. En effet, un député qui a refusé d’être ministre, quel phénomène ! Cela ne s’était encore jamais vu.