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UN HISTORIEN MODERNE DE LA GRÈCE.

preinte qui dure encore dans les formes de la vie moderne, et cependant l’histoire grecque dépasse l’histoire romaine, comme le génie grec dépasse le génie latin.

C’est que les principes mêmes de la civilisation sont en Grèce. Quelques-uns de ses élémens y ont même atteint leur perfection. Il suffit de prononcer les mot arts, lettres, philosophie, pour que cette vérité éclate à tous les yeux. Ce n’est pas tout. Beaucoup des questions qui intéressent l’organisation et la vie des sociétés modernes y sont nées et y ont reçu leurs premières solutions. Malgré la petitesse du pays, son extrême division et l’activité intellectuelle de la race y ont multiplié les aspects des problèmes. Les diverses constitutions, les rapports sociaux, les systèmes administratifs, la politique intérieure et étrangère, le droit, les finances, l’industrie et le commerce fournissent de nombreux sujets d’étude où il arrive parfois que la supériorité du génie grec permet de saisir en même temps l’origine et le terme de la science. L’humanité s’étudie donc elle-même en étudiant la Grèce ; elle y trouve sa propre histoire et ses lois. Telle est la portée générale et telle est la grandeur propre de l’histoire grecque.

L’ouvrage qui répondra le mieux à l’importance d’un pareil sujet sera sans doute celui qui, sans en atténuer la vive originalité, sans enlever aux détails et aux faits leur précision ni leur intérêt, fera le mieux ressortir ce caractère général. M. Curtius ne paraît pas bien éloigné d’adopter cette vue pour son propre compte. Du moins peut-on dire qu’une grande partie de son travail est une étude de l’hellénisme, c’est-à-dire du génie grec, de ses éléments constitutifs, de sa mission naturelle et de l’accomplissement de cette mission. C’est ce qui ressort des considérations qu’il insère dans la trame de son récit à mesure qu’il y est amené par la suite des faits. C’est ce qui se reconnaît dès le début de son livre, dans la manière dont il traite la première question qui s’offre à son examen, celle des origines de la population grecque. Il n’en est pas où se montre mieux en même temps la nature particulière de son esprit.


I.

Comment la Grèce s’est-elle peuplée ? et, par une conséquence immédiate, quelles ont été la nature et la marche de sa première civilisation ? Voilà comment M. Curtius pose le problème. Pour bien comprendre la nouveauté et la valeur de la solution qu’il donne, il est bon de se reporter d’abord à ce que venait de faire M. Grote, au moment où elle se produisait pour la première fois dans la dissertation intitulée les Ioniens avant la migration ionienne. M. Grote,