temps difficile. Comme il la croyait seule possible dans le moment, il s’étudiait à la faire vivre d’une vie régulière et honnête, à la concilier avec les sentimens et les intérêts traditionnels de la France, à lui inculquer un esprit tout autre que celui qui l’avait toujours perdue. Il procédait avec art. Il n’avait pas dit encore ce qu’il ne disait qu’un peu plus tard avec une précision décisive, que la république serait conservatrice ou qu’elle ne serait pas; il le pensait, il agissait en conséquence. Il répudiait surtout avec vivacité ce qui pouvait donner à la république le caractère d’un gouvernement de parti. Il la proposait comme « un effort de tous pour sauver la France, » ajoutant aussitôt : « Voilà quel républicain je suis ! » Il l’était déjà trop pour les monarchistes, il ne l’était pas assez pour les républicains, il restait, lui, il prétendait rester l’homme d’une grande crise nationale, s’efforçant de faire entendre raison aux républicains comme aux monarchistes, essayant de ramener les uns et les autres à ce qu’il croyait possible, — et ici je voudrais aller droit au plus vif de cette situation, — au nœud même de ce drame engagé entre M. Thiers et les partis.
Assurément si, entre tous les malheurs du temps, il y en a un qui ait pesé, qui pèse encore sur la France, c’est qu’au moment voulu l’entente des conservateurs de l’assemblée avec M. Thiers n’ait pas pu s’établir, se manifester d’une manière suivie et efficace. Ce n’est là, si l’on veut, que le rêve de ce qui aurait pu être. Supposez, cependant, qu’au moment décisif, non pas au lendemain de la paix, lorsque tout était encore trop obscur, mais vers le milieu de 1872, avant que tout fût compromis, les monarchistes de Versailles eussent écoulé leur raison, leur prévoyance, plutôt que leur sentiment ou leurs illusions ; supposez que, frappés comme l’était le chef du pouvoir exécutif lui-même, de l’impossibilité d’une restauration sur laquelle on ne s’entendait pas, ils eussent pris leur parti de ce qu’ils ne pouvaient éviter, et que, sans engager indéfiniment l’avenir, ils eussent consenti à régulariser, à fortifier une situation qu’ils avaient été obligés d’accepter ; supposez enfin que, sans plus discuter sur la république, ils eussent mis, dès ce moment, leur habileté et leur sagesse à se ménageries avantages d’un régime dont ils avaient déjà les inconvéniens : que serait-il arrivé? Une grosse difficulté aurait disparu du premier coup. Les partis monarchiques n’avaient pas à abdiquer leur principe et leurs espérances, on ne le leur demandait pas ; ils se seraient prêtés à une nécessité du temps, et ils auraient certainement trouvé alors le plus puissant des alliés, le plus habile des guides en M. Thiers, qui, par ses opinions, était plus conservateur qu’eux-mêmes. Ce n’est pas M. Thiers qui eût marchandé les conditions de sécurité et de force au gouvernement qu’on aurait donné à la république; ce n’est pas lui qui