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et son débarquement en Espagne. Brusquet, le fou du roi Henri II, qui était dans la nombreuse compagnie de Coligny, « sceut fort gentiment rendre le change de ce brocard. » Le lendemain, la messe fut célébrée dans la chapelle du château, et, la messe finie, au moment où le roi prêtait le serment pour l’exécution loyale de La trêve, Brusquet et son valet se mirent à crier : « Largesse! » et vidèrent un grand sac plein d’écus du palais de Paris, « Le roi à ce cri se retourna avec admiration devant l’amiral, estimant que les Français, après leur première folie, fussent passez jusques à cette témérité de faire largesse chez luy, en sa présence ; l’amiral demeura court, ne sachant encore que dire, qu’il ne sceut la vérité; il découvre Brusquet et son valet, jouant cette farce, qu’il monstra à ce prince. »

Charles-Quint reçut Coligny dans la modeste maison où il s’était retiré dans le parc de Bruxelles; « son habillement estoit une petite robe citadine de serge de Florence, coupée au-dessous des genoux, ses bras passez au travers des manches, en pourpoint de treillis d’Allemagne noir, un bonnet de Mantoue entouré d’un petit cordon de soie, sa chemise à simple rabat. » L’amiral le salua au nom du roi de France et lui présenta une lettre de son souverain ; Charles-Quint ne put l’ouvrir, le tiret se trouvant un peu plus fort que pour les lettres ordinaires; il la tendit à l’évêque d’Arras : « Vous voyez, monsieur l’amiral, comme mes mains qui ont faict et parfaict tant de grandes choses et manié si bien les armes, il ne leur reste maintenant la moindre force et puissance du monde pour ouvrir une simple lettre. Voylà les fruits que je rapporte pour avoir voulu acquérir ce grand nom, plein de vanité, de grand capitaine et très capable et puissant empereur. » Charles-Quint continua ainsi, sur le ton le plus familier; il demanda à voir Brusquet et s’amusa de sa conversation : « Tu fais le fou, lui dit-il, et je t’assure que tu ne l’es pas.» Coligny eut encore plusieurs fois l’honneur d’être reçu par Charles-Quint ; et Brantôme raconte que, dans une de ces conversations où se plaisait l’empereur, il vint à parler un jour des grands capitaines : il n’en restait plus, disait-il, que trois : « Luy, premièrement, se donnant le premier lieu, comme de raison, M. le connestable, son oncle, pour le second, et le duc d’Albe pour le tiers ; » il ne voulait point faire tort au roi Henri, ni à M. de Guise, ni à l’amiral à qui il parlait, mais il était nécessaire que le temps leur apportât une plus longue expérience, il leur fallait vivre continuellement en guerre comme lui, « qui n’y avoit nullement espargné son corps tout royal, mol et tendre, l’y ayant abandonné comme le moindre soldat. »

Charles-Quint n’avait guère besoin de conseiller au roi de France