si je puis ainsi dire, de la littérature anglaise, une histoire complète et cependant abrégée, une histoire qui ne sentît pas le manuel de collège, bonne à lire et non pas seulement à consulter, écrite avec agrément en même temps qu’avec solidité, qui fût œuvre personnelle surtout et non pas, comme tant de prétendues Histoires, une compilation plus ou moins consciencieuse de jugemens tout faits et d’opinions usées, décriées, avilies par le long usage.
Rien n’est, en effet, selon la manière de s’y prendre, plus facile ou plus difficile à composer que ces sortes de livres : plus facile, quand on ne se donne pas la peine de remonter le courant de l’opinion pour aller jusqu’aux sources; plus difficile, quand, au contraire, on s’impose d’étudier une grande littérature depuis Llywarch-Hen et Cædmon jusqu’à Tennyson et Robert Browning, de parcourir exactement tout l’entre-deux, et de ne rien dire, vieux ou neuf, que l’on n’ait pensé ou repensé par soi-même. C’est le second parti qu’a pris M. Filon. Son Histoire de la littérature anglaise est une série de jugemens, et de jugemens qui sont à lui, même quand il leur arrive de se rencontrer avec ceux de ses prédécesseurs. Il y parle comme il pense, chose rare; et il y pense comme il sent, chose plus rare. Et c’est pourquoi ce livre est bien celui qui nous manquait. Dans un temps où il se publie si peu d’œuvres marquées à cette empreinte de sincérité, l’éloge n’est-il pas suffisant pour que nous ayons le droit d’y mêler quelques critiques?
Il semble d’abord qu’à s’enfoncer ainsi dans l’étude intime de la littérature anglaise, M. Filon ait quelque peu oublié l’histoire de la littérature française. Je ne l’ai pas vu sans étonnement attribuer à Corneille ces deux vers devenus légendaires :
Ah ! voici le poignard qui du sang de son maître
S’est souillé lâchement; il en rougit, le traître!
Je les croyais de Théophile. Dans une prochaine édition de son livre,
si toutefois il a besoin d’y parler de Corneille, M. Filon pourra les remplacer par ces vers de Cinna :
Avec cette beauté qui t’était destinée,
Reçois le consulat pour la prochaine année.
……….
Préfères-en la pourpre à celle de mon sang.
En un autre endroit, M. Filon assigne ces deux vers à Voltaire, et ce
n’est pas non plus pour lui en faire honneur :
Un seul jour ne fait pas d’un mortel vertueux
Un perfide assassin, un lâche incestueux.
Je conviens à regret qu’ils sont, et le second surtout, d’une facture critiquable. J’ajoute que Voltaire est plein de ces rimes faciles, de ces