aujourd’hui en maîtres aux bords du Nil et dont le trafic sur le canal dépasse de beaucoup le trafic de toutes les autres nations réunies, tiennent à sauvegarder leurs intérêts, les prérogatives de leur commerce, on le comprend encore. Mais ce qui ne se comprend plus de la part d’une nation comme l’Angleterre, qui a le respect de toutes les garanties, c’est cette campagne inique engagée pour infirmer des droits évidens et consacrés, pour s’emparer directement ou subrepticement, par un abus de prépotence, d’une entreprise indépendante, pour essayer de mettre la main sur ce qui ne lui appartient pas. M. Gladstone, dans sa loyauté, il faut se hâter de le dire, s’est refusé à sanctionner ces âpres prétentions, à se faire le complice de ces revendications violentes. Il n’a pas cherché à ruser avec ce droit de M. de Lesseps, que les jurisconsultes de la couronne ont eux-mêmes reconnu. Il a procédé franchement, et le premier ministre d’Angleterre, croyant tout concilier, espérant apaiser une opinion surexcitée sans manquer à l’équité, est entré en arrangement avec le directeur du canal. Il a négocié, il a obtenu de la compagnie de Suez de meilleures conditions de tarifs, l’ouverture d’un nouveau canal qu’on réclamait, en promettant en échange un emprunt pour la construction de l’œuvre nouvelle; mais c’est ici que tout devient bizarre. La question, au lieu d’être simplifiée et résolue, s’est trouvée plus compliquée que jamais. A peine la convention de Suez a-t-elle été connue, elle a provoqué une nouvelle explosion de colères. Ce n’était point là du tout ce qu’on demandait au cabinet ; on n’admettait pas particulièrement qu’il reconnût le « droit exclusif » de M. de Lesseps. Il y a eu une sorte de soulèvement, si bien que M. Gladstone, reculant devant ce qu’il avait fait, n’a pas osé soumettre son œuvre au parlement. Peut-être, en parlant il y a quelques jours avec une certaine rudesse de l’incident de Madagascar, s’était-il flatté de faire passer plus aisément la convention avec la compagnie de Suez ; il s’est singulièrement trompé, il n’a fait qu’offrir un aliment de plus à des polémiques antifrançaises qui finissent par lui créer à lui-même une situation assez difficile.
Qu’y a-t-il donc dans cette agitation trop visiblement exagérée pour être parfaitement sincère ? Il y a sans doute bien des élémens qui ne sont pas faciles à saisir. Lorsque M. Bright parlait il y a quelque temps des armateurs, des gens de négoce coalisés pour chercher une satisfaction en Égypte, fût-ce au prix d’une rupture ou d’un refroidissement des relations de l’Angleterre avec la France, il ne se trompait pas absolument. Les intérêts mercantiles et financiers ont certainement un grand rôle dans tout ce mouvement. Les uns voient dans l’isthme de Suez une question de tarifs pour le commerce anglais; les autres voient dans la construction d’un second canal une affaire lucrative qu’ils ne veulent pas laisser à l’ancienne compagnie. Ce qu’on désire