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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/768

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quelques-uns d’entre eux à la tête des régimens, ce qui était contraire aux usages et aux traditions de ses ancêtres. C’est lui qui avait donné leurs grades à Arabi et à Abdel-Al, le colonel du régiment nègre, dont la conduite a décidé du succès des insurrections militaires. Pendant quelque temps même, il avait accordé toute sa confiance au troisième des colonels, Ali-Fhemy, lequel l’a indignement trahie. Les Arabes n’avaient donc pas à se plaindre; pour la première fois depuis la conquête turque, malgré leur incapacité notoire et leur infériorité à l’égard des Turcs et des Circassiens, ils arrivaient aux grades les plus élevés de l’armée. De plus, leurs traitemens étaient payés avec la plus stricte régularité. Sous l’ancien khédive, la solde des officiers et des soldats était sans cesse en retard ; à la fin même, on ne la payait plus du tout. C’était en vendant les rations de leurs chevaux, parfois même, par un procédé tout oriental, en faisant trafic de leurs femmes, qu’ils arrivaient à soutenir leur misérable existence. Sous le nouveau khédive, rien ne leur manquait, néanmoins, comme le désir arabe est sans bornes, ils n’étaient pas encore satisfaits de leur sort. Ils se plaignaient surtout que le ministère de la guerre fût entre les mains d’un Circassien, Osman-Pacha-Refki, qui, d’après eux, montrait pour ses compatriotes une trop grande partialité. Forts de la faveur que le khédive leur avait accordée, poussés par des incitations malsaines venues au dehors, trois d’entre eux, Arabi, Ali-Fhemy et Abdel-Al, se décidèrent à porter à Riaz-Pacha, le président du conseil, une pétition dans laquelle ils réclamaient la destitution d’Osman-Pacha-Refki, et faisaient en outre connaître leurs vues sur le gouvernement de l’Egypte. Riaz les reçut amicalement, mais il leur reprocha avec sévérité de violer la discipline militaire, de commettre un acte d’insubordination inexcusable. Les trois colonels acceptèrent les observations ; ils déclarèrent se soumettre et promirent l’obéissance. Malheureusement, les promesses ne furent pas tenues ; tout au contraire, les trois colonels entreprirent une propagande active dans les casernes, y semèrent l’agitation et tâchèrent d’entraîner avec eux tous les officiers arabes pour demander l’expulsion des Circassiens de l’armée.

La première faute n’avait pas été punie; mais, en présence de cette attitude coupable, des mesures de rigueur devenaient nécessaires. Jadis on se fut borné à appeler un à un les colonels au ministère de la guerre, sous un prétexte quelconque, à les embarquer immédiatement sur le Nil, et à leur faire faire un voyage dont personne n’est encore revenu. Mais ni le khédive, ni Riaz-Pacha n’étaient hommes à suivre pareille tradition. Le conseil des ministres, convoqué spécialement dans une séance à laquelle n’assistaient