Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/782

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais celles-là moins écoutées, leur venaient d’Ismaïl-Pacha, l’ancien khédive. Cependant l’un d’eux, Toulba-Pacha, acceptait toutes les propositions d’où qu’elles vinssent, pourvu qu’elles fussent accompagnées d’espèces sonnantes. Il prenait de toutes parts, se vendant à tout le monde, et trahissant tous ceux auxquels il s’était vendu. Arabi et ses amis n’étaient pas seulement des illuminés. Doués d’une rapacité rare, ils profitaient de leur puissance pour arrondir leur fortune. S’ils n’ont pas acquis beaucoup de propriétés, c’est qu’ils se sont aperçus bien vite qu’en le faisant ils s’exposeraient au danger de soulever contre eux de redoutables ennemis. Mais ils se sont enrichis de beaucoup d’autres manières. Sous le règne des soldats, l’Egypte a été mise au pillage et exploitée plus durement que sous celui d’Ismaïl-Pacha.

Ce règne a commencé le lendemain même du départ de la mission turque. D’El-Ouadi où il avait été envoyé en campement, Arabi adressait des ordres aux ministres et leur signifiait ses volontés sur un ton qui ne souffrait pas de réplique. Un jour, c’était un de ses amis, emprisonné à la suite d’un jugement des tribunaux mixtes, dont il exigeait l’élargissement. Un autre jour, il demandait la destitution d’un certain nombre de moudirs. Tantôt il informait Chérif-Pacha que le temps des jeux de mots et des railleries (Tankit) étant paisse, il avait décidé « d’accord en cela avec l’éminent Abdallah-Effendi-Neddim, directeur et rédacteur du journal littéraire et instructif El Tankit wil Tabket (Jeux de mots et Traits satiriques), de transformer le titre de ce journal en Lissan el Omma (Organe de la nation) » et d’en faire, en effet, l’organe attitré et subventionné de la nation. Tantôt il expédiait aux ministères une liasse de dossiers sur des questions dont il avait indiqué la solution. Que pouvait faire Chérif-Pacha? La résistance eût été vaine. Il appela un jour un des familiers d’Arabi et lui expliqua qu’il serait obligé d’abandonner le pouvoir si celui-ci continuait à trancher du maître, à le réduire au rôle de simple instrument. Arabi répondit aussitôt qu’il était au désespoir d’avoir commis, par pure ignorance, une faute dont il comprenait enfin la gravité; qu’il n’avait attaché aucune importance aux communications adressées par lui au ministère, mais que du moment qu’on y voyait l’ingérence d’un soldat dans la politique et dans l’administration, jamais plus il n’en ferait de pareilles. Le lendemain de cette déclaration, il envoyait à Chérif trois nouvelles affaires dont il avait arrêté le règlement, et les jours qui suivirent ressemblèrent à ce lendemain. Comme il arrive souvent chez les illuminés, au fond du caractère d’Arabi perçait une hypocrisie profonde. Le séjour d’El-Ouadi lui était fort désagréable, parce qu’il avait eu l’imprudence d’enlever, pour se les attribuer,