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été moins utiles. Pendant le ministère de Chérif-Pacha, une sorte de mission anglaise, à la tête de laquelle se trouvait un célèbre arabophile, M. Blunt, était venue s’établir au Caire. Elle se composait d’un nombreux personnel anglais et arabe et se disait officieusement envoyée en Égypte par le foreign office et par l’ambassade anglaise à Constantinople. Ce qu’il y a de sûr, ce qui résulte même des livres bleus anglais, c’est que les agens britanniques ont favorisé les rapports d’Arabi et de M. Blunt. Or ces rapports étaient des plus compromettans. M. Blunt n’épargnait rien pour persuader à Arabi que l’Angleterre le soutiendrait dans ses projets d’émancipation arabe; des journalistes syriens venus à sa suite s’étaient mis en relation avec les cheiks qui rédigeaient au Caire les journaux les plus avancés du parti arabe; une feuille arabe publiée par eux à Londres et qui contenait les plus vives excitations à l’indépendance était répandue à profusion dans l’armée[1]. En même temps, un ancien membre du parlement anglais, M. William Gregory, inondait le Times d’éloges d’Arabi, de récits de sa vie privée et publique, de détails sur son harem, sur sa femme, sur ses enfans. La presse anglaise commençait déjà cette étonnante campagne en faveur d’Arabi, qu’elle a poursuivie sans relâche depuis quelques mois, et qui ne permet plus de croire que l’Angleterre n’ait pas voulu et préparé d’avance son expédition en Égypte.

L’heure de la crise approchait. Comme je tiens à ne pas sortir du cadre de la révolte militaire, je ne raconterai pas les péripéties de la lutte entre la chambre des notables et Chérif-Pacha. Chérif avait cru trouver dans cette chambre une force morale à opposer à la force matérielle d’Arabi, oubliant qu’en Égypte les forces morales se mettent toujours du côté des forces matérielles. Dès que les notables furent réunis, ses illusions tombèrent. Il devint évident qu’ils voteraient tous et toujours dans le sens que leur indiquerait Arabi. Habitués à la servitude, ce dernier leur paraissait le maître; c’est donc devant lui qu’ils s’inclinaient. La question débattue entre la chambre et le ministère était celle du vote du budget; il s’agissait de savoir si on livrerait le budget tout entier, même le budget

  1. Le jour n’est pas fait, et probablement ne se fera jamais sur les manœuvres de M. Blunt en Égypte; mais l’enquête judiciaire a révélé ce fait, assurément bien curieux, que M. Blunt avait acheté un jardin aux environs du Caire et l’avait converti en véritable arsenal au service d’Arabi. Au plus fort de la guerre, celui-ci télégraphiait à son sous-ministre : « Envoyez cinq paires de pistolets du jardin de M. Blunt, ainsi que leurs munitions. S’il n’y a pas de munitions, faites-en faire, mais envoyez d’abord les pistolets. » Il y avait, paraît-il, dans le jardin de M. Blunt des caisses remplies d’armes. Arabi était excusable de croire que l’Angleterre était pour lui, car comment aurait-il cru qu’un Anglais lui fournissait gratuitement des armes pour combattre ses compatriotes?