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de la dette publique, à une assemblée révolutionnaire ne songeant qu’à faire cesser la réforme financière pour rétablir les abus dont ses membres profitaient. Il s’agissait aussi d’échapper par ce moyen à la surveillance du contrôle. Arabi, qui venait d’être appelé au ministère de la guerre en qualité de sous-ministre, s’était spontanément débarrassé, pour son compte, de cette surveillance. Il gérait son budget comme il l’entendait, ne souffrant pas que personne s’informât de ce qu’il en faisait. Un tel exemple était bon à suivre. Sur l’ordre de l’armée, la chambre des notables fit un règlement dans lequel elle s’arrogeait des droits financiers sans limites. Chérif-Pacha donna sa démission, prouvant encore une fois sa parfaite loyauté. Il s’agissait de le remplacer. Le khédive refusa de s’en charger, déclarant que, puisqu’on ne lui laissait aucun pouvoir, il ne voulait aucune responsabilité. Ce fut une commission de la chambre qui désigna les ministres. Elle choisit pour la présidence Mahmoud-Samy. Celui-ci, qui, la veille encore, jurait à Chérif, sur tout ce qu’il y a de sacré au ciel et sur la terre, de ne jamais séparer son sort du sien, accepta sans hésiter son héritage. Arabi eut le ministère de la guerre et un ingénieur, Mahmoud-Fhemy, celui des travaux publics. C’était le règne de la soldatesque qui commençait. Les contrôleurs rédigèrent une protestation officielle et offrirent leur démission à leurs gouvernemens respectifs. L’Angleterre refusa immédiatement celle de M. Colvin. Quant à la France, elle porta un premier coup au contrôle en rappelant, dans des circonstances aussi critiques, M. de Blignières. C’était le seul homme qui inspirât quelque crainte à l’armée. Le jour de son départ, les casernes et les mosquées furent en fête. « Nous avons la France pour nous! » répétaient tous les officiers. La dernière digue qui arrêtait le flot de l’émeute était brisée, et M. de Freycinet inaugurait cette politique fatale qui a porté à notre influence dans la Méditerranée le coup le plus terrible et le plus irrémédiable qu’elle ait jamais subi.

Mais la période des difficultés commençait pour les colonels. Il fallait satisfaire tous les appétits, et ces appétits étaient sans mesure. L’armée échappait à ses chefs. Les officiers subalternes réclamaient le prix de leurs services. Abdel-Al, Ali-Fhemy et Arabi s’étaient créés généraux et pachas. Leur principal auxiliaire, Toulba, avait reçu la même faveur. C’est à peine s’il était colonel depuis six mois. Sorti de bonne heure de l’armée, il avait acquis ses grades dans l’administration de la Daira Sanieh, en vertu d’une coutume égyptienne qui permet, ainsi que je l’ai déjà dit, de poursuivre dans une fonction civile la carrière militaire. Un simple lieutenant peut devenir en Égypte colonel en restant toute sa vie dans un tribunal ou dans une exploitation agricole. De là l’irrémédiable faiblesse d’une