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Les importantes correspondances publiées dans ces derniers temps n’ont apporté aucun argument à l’appui de ces jugemens de parti-pris ou insuffisamment fondés[1]. S’il est aujourd’hui démontré que, pendant toute la durée de son règne, Marie-Antoinette avait regardé le comte de Mercy comme son propre ministre, s’il est avéré qu’elle n’avait jamais oublié cette recommandation de Marie-Thérèse, au moment de leur séparation, de rester bonne Allemande ; il est non moins certain que Montmorin n’était pas instruit de cette double politique que représentait, notamment à Vienne, le baron de Breteuil, de cette politique qui fit directement appel à l’intervention armée des souverains, et qui avait pour mission confidentielle de démentir l’acceptation officielle de la constitution. Sans doute, quand la révolution eut elle-même engagé la guerre, quand la reine eut adressé à Mercy le billet du 26 mars 1792, qui contient le plan de campagne de nos armées, Montmorin ne croit pas le comte de La Marck un ennemi de la France et ne suspend pas des relations qui auraient dû, dès cette heure, prendre fin ; sans doute il donne à son confident les impressions de la cour, partageant avec elle cette courte vue qu’il suffira d’une promenade militaire pour sauver Louis XVI, et surtout Marie-Antoinette ; sans doute il ne croit plus qu’il y ait un autre moyen de relever la nation, et que « ce n’est pas en elle- même qu’elle peut trouver les ressources nécessaires pour sortir du précipice où l’ont jetée les fous et les enfans[2]. » Mais avoir la préméditation de trahir La Fayette, son ancien ami ! Une phrase, dans une lettre intime, ne suffit pas pour convaincre d’infamie : « Les nouvelles que nous avons ici de Coblentz sont que les émigrés seront employés. Si cela est, j’en serai très fâché. On ne saurait, selon moi, les mettre trop à l’écart pour agir. » Telle est sa pensée politique dominante. Le surplus, inspiré par la passion de voir la famille royale échapper à l’échafaud, peut être critiqué, blâmé, mais ne peut servir de fondement à la condamnation de l’histoire pour connivence directe avec les généraux autrichiens. Le comte de Montmorin, héritier d’un des noms les plus fiers de l’aristocratie, ne voulait ni sa disparition, ni son effacement dans le gouvernement. Il n’est certainement pas un des ancêtres de la démocratie moderne ; mais c’est un honnête homme, et l’un des esprits qui comprirent le mieux, aux débuts de la constituante, les nécessités d’une monarchie contrôlée et libérale. Nous subissons trop encore aujourd’hui, dès qu’il s’agit de la révolution, les défiances aveugles que le danger de la patrie expliquait alors, mais ne justifiait pas toujours.

  1. Correspondance de Marie-Thérèse et de Marie-Antoinette, par MM. Geffroy et d’Arneth.
  2. Correspondance avec M. le comte de La Marck, t. III.