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les prestiges de la charlatanerie et toutes les ressources de l’imposture pour tromper et avilir l’assemblée nationale, pour faire jeter dans les fers et livrer peut-être à des bourreaux un citoyen irréprochable, je demande comment je dois qualifier ce J.-P. Brissot et quel délit il dénoncera jamais qui soit plus grave que le sien. — Je sais que, puisqu’il est député, la constitution le déclare inviolable et je n’appelle pas sur lui la vengeance des lois. Mais puisse au moins le mépris de toutes les âmes généreuses faire de ce vil tyran une éclatante justice ! Ce mépris vengeur est un sentiment libre qu’aucune loi ne saurait contraindre. Il est doux de l’exhaler sur les plus puissans coupables et de ternir ainsi leurs scandaleux triomphes. Il est juste d’en atteindre jusqu’à la tribune nationale l’orateur effronté qui la profane par des calomnies. »

Pour n’oublier aucun nom, parmi les amis de Montmorin qui le défendirent publiquement à cette heure difficile, rappelons aussi que Suard fit paraître dans les soixante-dix-septième et soixante-dix-huitième numéros du Journal de Paris un long article signé seulement de ses initiales, sur le prétendu comité autrichien et ses dénonciateurs.

M. de Toulongeon, dont l’ouvrage n’est que le témoignage d’un esprit modéré et honnête, mêlé aux premières scènes de ce drame, s’est trouvé à portée de recueillir des renseignemens précis. Il affirme qu’on a calomnié les intentions et les démarches de ces derniers conseillers de Louis XVI, Malouet, Malesherbes, Bertrand de Molleville, Montmorin. « Ils n’avaient, dit Toulongeon, d’autres mobiles que la constitution anglaise[1]. » Sans doute, son adaptation à l’état social de la France était devenue impossible; mais est-ce un crime de l’avoir tentée, et cet essai mérite-t-il les sévérités de l’histoire? Il en est plus d’un, dans cette rupture irrévocable entre le monde ancien et le monde nouveau, il en est plus d’un qui, resté sur l’autre rive, avait essayé de jeter un pont entre les deux sociétés séparées désormais par un abîme ; ne leur lançons pas d’outrages, car ils avaient gardé de la vieille France les qualités supérieures, délicates et chevaleresques. Pourquoi donc, sur l’interprétation isolée de deux lettres publiées dans la correspondance de Mirabeau et du comte de La Marck, accuse-t-on encore Montmorin de trahison? L’une de ces lettres, écrite de la main de Mme de Beaumont, est du 22 mai 1792; l’autre, dictée à un ami, est du 19 juin suivant. Depuis six mois, Montmorin n’était plus aux affaires étrangères; c’est au milieu des dénonciations les plus violentes qu’il continue d’instruire des faits quotidiens le comte de La Marck, suivant son habitude depuis plus d’une année.

  1. Histoire de France depuis 89, par M. de Toulongeon. Voir Pièces justificatives.