Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une légende ! autour de son nom. Assurément M. Broadley a travaillé mieux que personne à l’élaboration de cette légende. Non-seulement il a aiguisé la plume de tous les journalistes qui se pressaient autour de lui, mais lui-même, oubliant la discrétion qui lui convenait comme avocat, il a écrit de longs articles en l’honneur de son client. L’opinion publique, chauffée à blanc, est devenue irrésistible. Le ministère anglais n’avait aucune envie de lui résister ; mais, l’eût-il voulu, il n’aurait pu le faire sans danger.


III

L’enquête judiciaire s’achevait tranquillement au Caire, et chacun croyait, sur la foi de tout ce qui avait été dit jusque-là, qu’on allait assister à une « cross-examination » et jouir de toutes les beautés judiciaires du régime anglais, quand, tout à coup, le 3 décembre au matin, le bruit se répandit dans la ville qu’Arabi avait été jugé, qu’il s’était reconnu coupable de rébellion, et que les autres chefs d’accusation avaient été écartés. Personne ne voulut y croire ; il s’agissait évidemment d’une simple mystification. Les Anglais n’avaient-ils pas réclamé sans cesse que le procès fût public, qu’il se fît au grand jour et avec éclat ? N’avaient-ils pas exigé que les accusés fussent jugés sur les crimes de droit commun, non sur celui de rébellion ? Évidemment, c’était une mauvaise plaisanterie de soutenir qu’ils eussent terminé par surprise, dans le secret le plus profond, une affaire pour laquelle ils avaient tenu à prendre de si sérieuses garanties contre la précipitation et les manœuvres obscures des indigènes. Cependant il fallut bien se rendre à l’évidence lorsque, quelques heures après, la vérité tout entière fut connue. Voici ce qui s’était passé. Transformant officiellement le rôle de sir Charles Wilson, et de simple témoin de l’enquête faisant de lui le véritable, l’unique juge d’instruction, — ce qui était contraire à tous les arrangemens, à toutes les conventions passées avec le gouvernement égyptien, — lord Dufferin avait chargé le colonel de donner son opinion sur la culpabilité d’Arabi. Naturellement sir Charles Wilson déclara que jamais homme n’avait été plus innocent et qu’il était impossible de le poursuivre pour aucun autre crime que celui de rébellion. L’examen le plus sérieux ne lui avait fait découvrir sur les mains aucune trace de sang ou de fumée. Dès lors la décision, si compétente et si importante, de sir Charles Wilson, dut prévaloir contre les conclusions de la commission d’enquête, de son délégué et du cabinet. Elle supprima d’un seul coup l’instruction judiciaire et le jugement, devenus inutiles. Il fut décidé que, puisque telle était l’opinion de sir Charles Wilson, on écarterait du procès d’Arabi