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les crimes d’assassinat et d’incendie, qu’on ne retiendrait que celui de rébellion, qu’Arabi se reconnaîtrait coupable, qu’il serait condamné à mort suivant les prescriptions du code pénal militaire ottoman, puis gracié suivant la volonté formelle de l’Angleterre. M. Broadley accepta avec joie cette manière de procéder. Arabi se montra plus méfiant : il refusa de se reconnaître coupable avant que le khédive eût signé le décret commuant sa peine en exil. Il fallut en passer par ce qu’il voulait. Vingt-quatre heures avant la signature du jugement, le décret de commutation fut signé par le khédive. Arabi alors consentit à s’avouer rebelle et, à son tour, il signa une déclaration reconnaissant sa culpabilité à cet égard. Les trucs étaient prêts, la comédie pouvait commencer ; il convenait néanmoins d’avoir un public restreint et choisi. C’est tout à fait par hasard et grâce à une indiscrétion que j’en ai été prévenu, pour mon compte, et que j’ai pu y arriver en intrus. « Vous comprenez, m’avait-on dit, le procès est public, mais il faut qu’il n’y ait personne. »

Et il n’y a eu personne, en effet. Quand j’ai pénétré dans la salle, vers neuf heures du matin, elle ne contenait qu’une dizaine de journalistes anglais et quelques officiers. Un quart d’heure après, la cour entra en séance. Le siège du ministère public était vide, Borelli-Bey ayant refusé de jouer un rôle dans une pareille parodie judiciaire ; le général commandant le Caire, sir Archibald Alison, s’y assit ; en face de lui se tenait sir Charles Wilson. Arabi vint prendre place presque à côté de ce dernier. Quoique je l’eusse beaucoup vu à l’époque de son triomphe, j’ai eu de la peine à le reconnaître. Jadis son regard hautain, son visage méprisant ne manquaient pas d’une certaine énergie brutale ; mais, combien ses malheurs avaient abattu sa fierté ! Très négligé dans sa tenue, vêtu d’un mauvais pardessus, le col entouré d’un foulard à peine blanc, l’œil terne, la barbe inculte et blanchie, les deux mains jointes sur l’estomac, il gardait l’attitude inerte et passive du fellah résigné à l’esclavage. Au-dessous de lui ses avocats, dont la physionomie contrastait singulièrement avec la sienne, étaient le point de mire de toute la salle. Portant l’un et l’autre la perruque poudrée et le petit manteau court des avocats anglais, leur air de triomphe était des plus réjouissans. Seulement M. Marc Napier, petit, maigre, pâle, immobile, souriait avec la satisfaction du de voir accompli, tandis que M. Broadley, grand, gros, haut en couleur, la figure épanouie, sans cesse en mouvement et en action, semblait se moquer ouvertement de la cour, de l’assemblée, d’Arabi et de lui-même. — La séance commence à neuf heures un quart. Le président, Raouf-Pacha, prend la parole et dit à Arabi :