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comme non avenu. Coligny dut reprendre son rôle ingrat d’avocat des églises menacées ou opprimées, protester contre les violences de tout genre commises dans les villes, dans les campagnes, dans toutes les provinces, se fatiguer en remontrances, en représentations le plus souvent vaines. Les gens qu’il avait dépêchés pour porter ce qui était encore dû aux Allemands furent attaqués par la garnison d’Auxerre, dépouillés, blessés, ou tués. Le duc d’Anjou, tout jeune encore, se déclarait l’ennemi ardent des partisans de la religion ; le cardinal de Lorraine, devenu son conseiller, lui promettait que Marie Stuart serait amenée en France et qu’elle lui céderait tous les droits qu’elle avait ou prétendait avoir sur le royaume d’Angleterre. Coligny connaissait les sentimens du duc d’Anjou et il dénonçait à Norreys, l’ambassadeur d’Elisabeth, les projets des Guises. Il était, au lendemain de la paix, ainsi qu’en pays ennemi, enfermé dans Châtillon, comme le prince de Condé à Noyers en Bourgogne, comme d’Ancelot à Tanlay à quatre lieues de Noyers. « Trente mille à l’entour, écrivait Norreys à Elisabeth, les gentilshommes du pays, étant pour la plupart de la religion, tiennent leurs maisons bien gardées et sont prêts à se rendre auprès du prince quand il le leur ordonnera. »

Châtillon était trop isolé : il y avait aux environs plusieurs petites garnisons d’Italiens et autres qui épiaient l’amiral et le menaçaient ; plusieurs fois, à la cour, on le crut pris et tué. Il dut quitter cette ville pour aller auprès de son frère à Tanlay. Il passa près du château de Chandeley, dont la garnison fit feu sur lui, comme en pleine guerre ; d’un bout à l’autre du royaume, les attentats contre les réformés se renouvelaient et demeuraient impunis. Coligny écrivait le 13 juillet 1568 au roi Charles IX pour se plaindre d’un attentat commis sur l’un de ses gentilshommes qu’il envoyait à Auxerre vers le gouverneur et capitaine de cette ville, M. de Prye. « Il est advenu qu’ayant ledit sieur de Prye donné escorte de deux harquebouziers au gentilhomme que je lui avois envoyé, pour le conduire jusqu’à la porte, incontinent après qu’ils l’eurent laissé et auparavant qu’il feust hors des fauxbourgs de ladite ville, il fut chargé de guet-à-pend et poursuivi furieusement par dix-huit ou vingt harquebouziers qui tous tirèrent contre lui. Il y a eu cinq coups qui ont porté, de façon que, s’il n’est mort, il ne vault guère mieulx. Il n’y a plus de justice en ce royaulme pour ceulx de la religion et il est permis à un chacun de les meurtrir et assassiner avec toute impunité, sans qu’ils puissent dorénavant avoir espérance de pouvoir vivre en seureté soubz vostre parolle et protection. » Il écrivait également à la reine mère, lui montrant l’état pitoyable du royaume, lui rappelant ce qu’il lui avait dit quelquefois « que les opinions de la religion ne s’usent ny par le feu, ny par les armes, et que ceux-là s’estiment