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hors de la capitale. Au souper même de la reine, Piles, Pardaillan avaient laissé entendre que justice serait faite si le roi ne la faisait. Ces propos étaient à demi sincères : Catherine de Médicis eut sans doute vraiment peur ; elle se laissa glisser d’un crime dans un plus grand crime ; elle n’avait pas nettement prémédité le massacre, elle s’y résolut au dernier moment, et amena son fils à le regarder comme une nécessité. Elle le remplit de ses propres terreurs. L’amiral allait guérir, les médecins le disaient ; il pouvait perdre la reine mère et le dac d’Anjou ; il fallait en finir avec lui ; et il n’y avait plus d’autre moyen que de l’achever au milieu de tous les siens, de noyer son sang dans des torrens de sang. M. Loiseleur, dans ses Énigmes historiques a fort bien rendu compte de tous les incidens de cette journée de la peur, qui précéda la nuit du massacre. Le jeune roi, troublé, menacé, honteux de trahir ses amitiés, arraché aux grands projets conçus avec l’amiral, à son admiration pour le vieil homme de guerre, effrayé peut-être d’entendre sa mère accusée publiquement d’un crime, est comme pris tout d’un coup de vertige : « Par la mort Dieu ! puisque vous trouvez bon qu’on tue l’amiral, je le veux, mais aussi tous les huguenots de France, afin qu’il n’en demeure pas un qui puisse me le reprocher après. » Ainsi la faiblesse fît ce que n’eût pas fait la volonté la plus noire et la plus perverse. L’ordre fatal une fois donné par le roi, Guise, qui se cachait, put reparaître : c’est lui qui prit le soin d’en finir avec l’amiral.

On sait le reste : avec quel secret et quelle rapidité tout s’organisa dans Paris pour le massacre. La porte de l’amiral fut ouverte à Cosseins, qui demanda à parler à Coligny de la part du roi. Cosseins entra avec ses arquebusiers. L’amiral, en entendant ce bruit, comprend qu’il est perdu, il invite Ambroise Paré, le ministre Merlin et ses serviteurs à fuir par les toits. Un seul demeure auprès de lui. Quelques Suisses du roi de Navarre ont fait une barricade dans l’escalier, elle est renversée ; les meurtriers enfoncent la porte, ils arrivent. Le premier qui entre est un Allemand, Besme, qui est au duc de Guise : « N’es-tu pas l’amiral ? dit-il, en montrant son épée. — Je le suis, » répond Coligny avec calme. Besme lui plonge l’épée dans la poitrine ; chacun le frappe. Les assassins le saisissent, couvert de sang, remuant encore, et le jettent par la fenêtre sur le pavé de la cour. Le duc de Guise, qui attend avec le duc d’Aumale et le bâtard d’Angoulême, descend de cheval et contemple le cadavre. Il efface avec un mouchoir un peu du sang qui couvre le visage : «  C’est bien lui ! » Il frappe le cadavre du talon de sa botte, et remonte à cheval pour achever une œuvre si bien commencée.


Auguste Laugel.