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« l’amirauté allemande est en train de prendre ses mesures pour transformer en croiseurs les vapeurs transatlantiques naviguant sous pavillon allemand ; » mais combien en a-t-on transformé ? La loi française du 29 janvier 1881 organise un système de surprimes à la navigation pour les vapeurs construits sur des plans approuvés par le ministre de la marine et pouvant dès lors être utilisés pendant les hostilités ; mais comme elle impose, en exigeant que ces vapeurs puissent filer 13 nœuds et demi à l’heure, des machines fort coûteuses, nos armateurs n’ont guère cherché à gagner la surprime. Enfin, il y a trois ans, un lord de l’amirauté confessa publiquement qu’il n’y avait pas, en Angleterre, plus de trente ou quarante navires marchands susceptibles d’être convertis en bâtimens de guerre. Cela suffit-il pour soumettre, en bloc, au droit de capture tous les navires marchands de toutes les puissances maritimes, et, par exemple, les vingt-deux mille bâtimens de la marine anglaise, ceux qu’on ne réquisitionnera jamais, même ceux qu’on ne pourrait pas réquisitionner ? D’ailleurs qu’est-ce qui peut justifier la capture ? Une nécessité militaire éventuelle ? Comme tout, à un moment donné, vêtemens, vivres, espèces, peut servir indirectement à la guerre, on aurait alors le droit d’affamer et de dépouiller toute la population d’un pays belligérant. Une autre maxime a prévalu dans le droit moderne de la guerre : la saisie, la séquestration, la préemption même ne peuvent dériver que de la nécessité militaire « actuelle et constatée. » Il suffit d’appliquer cette maxime.

On peut d’ailleurs se demander avec les économistes s’il existe véritablement un commerce « ennemi. » S’il est vrai, comme l’écrivit Bastiat, que « le bien de chacun favorise le bien de tous comme le bien de tous favorise le bien de chacun, » la plupart des coups qu’un belligérant porte au commerce de ses ennemis le frappent indirectement lui-même. Ce phénomène économique, que Mably signalait, en 1748, avec une perspicacité remarquable, est aujourd’hui, depuis que les relations internationales se sont à ce point accrues et enchevêtrées, d’une éblouissante clarté. Par exemple, il est bien démontré que, durant la guerre de Crimée, la France et l’Angleterre souffrirent, comme la Russie, de tout le mal fait au commerce russe, non-seulement par la diminution des exportations françaises et anglaises ou des importations russes, par l’obligation, très onéreuse pour nos nationaux et nos alliés, de recourir soit aux transports par terre, soit aux transports sous pavillon neutre, mais encore parce que, un certain nombre de Français et beaucoup d’Anglais étant les uns chefs, les autres créanciers de maisons établies dans les ports russes, les faillites survenues en Russie atteignirent à un double titre le commerce des deux puissances occidentales. A vrai dire, l’Angleterre n’a pas profité de cette leçon. Ses hommes d’état s’attachent à l’ancienne