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civilisées, que de motifs pour la faire ! Jamais le succès n’eût été plus assuré, s’il suffisait d’avoir raison pour gagner sa cause.

La guerre, sur mer comme sur terre, est une relation d’état à état, non d’individu à individu ou d’état à individu. Elle n’éteint donc pas les droits privés, et les états belligérans ne peuvent s’attaquer directement ou principalement aux particuliers. Dès lors, si le champ ou la maison d’un particulier n’est pas saisissable et sujet à confiscation dans la guerre continentale, pourquoi son navire et ses marchandises sont-ils de bonne prise dans la guerre maritime ? On répond, il est vrai, que le raisonnement pèche par la base, parce que les propriétés privées ne sont pas respectées dans les guerres continentales, où le belligérant, sans violer le droit des gens, lève des contributions qui ne sont que le rachat du pillage, et opère des réquisitions qui ne sont qu’une mise en coupe réglée de la propriété privée. Mais le belligérant qui lève des contributions sur un territoire agit en vertu d’un droit de souveraineté que l’occupation qui a momentanément conféré ; la réquisition, par cela seul qu’elle se restreint aux besoins de l’occupant, diffère également de la capture, destinée à ruiner l’ennemi, non à subvenir aux nécessités du capteur. Donc l’anomalie subsiste, et l’on est réduit à soutenir qu’il ne suffit pas, pour mener à bonne fin une guerre maritime, c’est-à-dire pour terrasser un belligérant qui se bat sur mer, de détruire sa flotte de guerre, mais qu’il est indispensable de tarir ses revenus et d’anéantir son commerce en écrasant sa marine marchande. Les annales des guerres contemporaines donnent à cette proposition le plus éclatant démenti : c’est ainsi que, dans la guerre franco-allemande de 1870, nos croiseurs n’ont pas capturé plus de soixante-quinze navires de commerce, évalués par les armateurs allemands à 17 millions 1/2, cargaisons comprises, mais ne valant pas, en vérité, plus de 6 millions. Il n’y avait pas là, sans nul doute, de quoi désespérer la Prusse, et jamais l’événement n’avait mieux justifié la première opinion de lord Palmerston, celle qu’il exprima dans son discours à la chambre de commerce de Liverpool : « Nous ne trouvons nulle part qu’un pays ait été vaincu par les pertes privées qu’ont éprouvées individuellement ses citoyens. »

Personne n’a découvert, jusqu’à ce jour, un argument plausible pour justifier la saisie sur mer d’une cargaison quelconque autre que la contrebande de guerre. Quant aux navires privés, on a tenté d’en légitimer la confiscation en établissant que la marine marchande, soit dans son personnel, soit dans son matériel, est un moyen de puissance navale toujours prêt à se transformer en instrument de guerre ; elle serait à la marine militaire, s’il faut en croire quelques publicistes, ce que la réserve est à l’armée active, C’est une grande exagération. Le Journal des Débats du 28 novembre 1881 nous apprenait que