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de vraie satisfaction, avec beaucoup de dégoûts et d’ennuis. Oh ! madame, que je serais heureuse, avant de mourir, de vous voir sainte, oui, sainte, si vous le voulez ! Vous en avez tous les moyens. Je vais prier le bon Dieu pour qu’il vous en fasse la grâce. Je savais la mort de M. de Montesquiou. Hélas ! depuis la révolution, il vous a fallu faire beaucoup de sacrifices de ce genre.

« Vous avez eu raison, madame, de penser que dès que nous saurions mesdemoiselles vos nièces à Versailles, nous serions très empressées de les voir.

« Je ne sais, madame, si je dois être surprise de la friponnerie que vous me mandez avoir éprouvée. Hélas ! il faut pardonner. La révolution a bouleversé toutes les têtes et anéanti la bonne foi.

« Me permettez-vous, madame, d’embrasser tous nos bons amis ? Faites-nous donner quelquefois de vos nouvelles, madame ; il y a trois ans que je n’ai eu le bonheur de vous voir. Le temps m’a paru bien long. »

Avec sa respectueuse familiarité, avec son abnégation religieuse, Mlle Michelet nous fait voir clair dans la conscience de Mme de Beaumont, et cette lettre d’une femme de chambre n’est pas déplacée au milieu de ces âmes tourmentées et frémissantes encore du choc de la tempête qui avait tout renversé. Il nous semble aussi que lorsqu’elle prit la résolution de demander le divorce, la femme du comte de Beaumont n’avait pas été arrêtée par des hésitations de croyances.


IV

Quelque attrayant pour l’intelligence que fût le salon de Mme de Staël, Mme de Beaumont n’y avait pas puisé la paix du cœur. Nous la revoyons en été à Theil, mais dans quel accablement ! Elle faisait pitié. Elle avait avec humeur regagné la solitude ; elle s’occupait avec dégoût, se promenait sans plaisir, rêvait sans agrément et ne pouvait trouver une pensée consolante. A la tristesse de ses lettres, on l’eût accusée de lire les Nuits d’Young, et cependant elle relisait son Tristram Shandy, mais sans fruit[1]. Elle appelait Joubert pour venir rendre quelque charme à sa demeure désenchantée, et Joubert la suppliait à mains jointes d’avoir le repos en amour, en estime, en vénération. Il demandait qu’elle ne lui fît grâce d’aucun détail quand elle lui parlait de son régime, car « de tous les journaux, il n’en était point qui pût autant l’intéresser que

  1. Lettres, août 1797.