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vous dirai quelque jour la cause de ses assiduités : elle est vraiment plaisante. » — C’est en ces termes qu’elle confiait à son véritable ami son secret. On ne nous l’a pas répété, mais ne nous sera-t-il pas permis de le deviner ? Adrien de Lezay avait trente ans, le même âge que Mme de Beaumont. Il était difficile, la voyant tous les jours, de ne pas être conquis par sa conversation, par l’éclat de ses regards noyés et tendres, par la sveltesse de sa taille.

Pauline était au-dessus de la coquetterie par son dédain des passions vulgaires, par son indicible tristesse et par sa résolution énergique de ne donner qu’une fois cette activité fiévreuse qui la dévorait et qui usait sa frêle enveloppe. Le moment était bien mal choisi en vérité, pour frapper à la porte de ce cœur qui venait de se livrer sans défense. O fantaisie inexplicable du destin ! Adrien de Lezay, après la démission de Chateaubriand, le remplaça comme ministre plénipotentiaire au Valais, avec mission de préparer l’annexion à la France, et en 1814, lorsque Chateaubriand était désigné pour accompagner le duc de Berry en Alsace, quel était le préfet animé soudainement de la ferveur royaliste qui, après avoir administré depuis 1806 Strasbourg au nom de l’empereur, était tué par ses chevaux emportés au bruit de la mousqueterie, au-devant d’un fils de France, comme on disait alors ? Quel était-il ? Le comte Adrien de Lezay.


V

Jusqu’à l’année 1800, Mme de Beaumont était modestement logée à Paris dans un hôtel garni, rue Saint-Honoré, tout près de la famille Joubert. Lorsque ses affaires furent réglées, son divorce prononcé, et qu’elle eut quitté définitivement la Bourgogne, un de ses amis nouveaux, M. Pasquier, lui céda l’appartement qu’il occupait rue Neuve-du-Luxembourg. Les fenêtres donnaient sur les jardins du ministère de la justice. C’est là que, pendant deux années, se réunissait presque tous les soirs la société la plus choisie, les débris de ce monde incomparable de l’aristocratie française, Mme de Duras, Mme de Pastoret, Mme de Lévis, Mme de Vintimille, à côté des esprits les plus éminens de la génération du consulat. M. Pasquier, après le 9 thermidor, était sorti de prison, et s’était réfugié avec sa femme dans le village de Croissy ; ses ressources étaient modiques ; ses biens étaient séquestrés. Peu à peu, il sortit de sa retraite et connut quelques personnes du voisinage, attendant comme lui les [1]

  1. Paris pendant 1796, n° 78.