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événemens. Parmi ses voisins se trouvait un homme qui devint bien vite le meilleur, le plus attaché de ses amis ; il s’appelait Julien. Il était fils d’un banquier de la chaussée d’Antin, mêlé sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI aux plus importantes affaires. Héritier d’une immense fortune, M. Julien avait pu en sauver une partie et traverser sans trop d’épreuves la révolution ; il habitait à Rueil une somptueuse demeure, dont le parc touchait à celui de la Malmaison[1]. Il tenait bon état, convive joyeux, quoique d’une famille où l’on se tuait, intelligemment secondé par sa sœur, une petite personne très spirituelle, qu’une difformité de la taille avait condamnée au célibat ; il aimait à donner à dîner. Mme et M. Pasquier devinrent les habitués de la maison de Rueil, et souvent on faisait ensemble des excursions à Paris[2].

Un jour, M. Julien proposa à M. Pasquier, qui accepta avec empressement, de le conduire chez la comtesse de Beaumont. Pendant les années 1789 et 1790, le fils du banquier avait été mis en rapport avec Montmorin, dont la situation, nous le savons, était gênée. Quand sa fille, seule à se débattre pour sauver quelques épaves de sa fortune, vint à Paris, M. Julien accourut lui offrir obligeamment ses bons offices. Elle lui en avait gardé une amicale gratitude. Présenté par le cher Julien, M. Pasquier avait été reçu de la manière la plus aimable. Il devint l’un des causeurs habituels du salon de la Rue-Neuve-du-Luxembourg. Joubert y avait introduit Fontanes, et par lui, Molé, Guéneau de Mussy, en attendant Chênedollé et Bonald. Les relations affectueuses d’autrefois avec Mme Hocquart, avec Mme de Krüdner, s’étaient aussi renouées. Mme de Staël et sa cousine, Mme Necker de Saussure, apparaissaient entre deux voyages en Suisse, à de rares intervalles. Benjamin Constant avait tout gâté.

De toutes les grandes dames que Mme de Beaumont retrouva, la plus intéressante, la plus dévouée, comme la plus utile à consulter pour les choses morales, était Mme de Vintimille, de la maison de Lévis. Joubert devait s’attacher aussitôt à elle. Il avait même conservé dans sa mémoire deux dates, le 6 mai 1802, jour où il la vit pour la première fois, et le 22 juillet, jour où il s’était promené avec elle dans une certaine allée des Tuileries, qu’il trouvait toujours embaumée de son souvenir. C’était cette promenade qui lui rendit sacré le jour de Saint-Médard. C’était aussi ce qui lui fit tant aimer les tubéreuses, dont il avait donné ce jour-là un bouquet à Mme de Vintimille. Elle, du moins, vécut de longues années et elle pouvait en 1817 recevoir ce billet adorable, comme on n’en écrit plus :

  1. Mémoires d’outre-tombe, t. III.
  2. Nous devons ces précieux renseignemens à M. Louis Favre.