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« Vous étiez plus jeune, il y a vingt ans, lorsque je marchais à vos côtés, à pareil jour, à pareille heure, en parcourant certaine allée que je vois presque de mon lit, et où, à mon très grand regret, je ne puis aller célébrer cet anniversaire. Mais vous n’étiez pas plus aimable. Votre présence et votre souvenir font également mes délices. Continuez à vous faire adorer et aimez-moi toujours un peu. Les tubéreuses ne sont pas encore en fleur cette année. J’avais pris toutes les précautions possibles pour en avoir à mon réveil, mais on n’a pas pu en trouver. J’ai souscrit pour les premières… Souvenez-vous qu’il est de mon essence de penser à vous avec délices et de vous être éternellement attaché[1]. »

Nous nous plaisons, dans ces deux dernières années de sa vie, de 1801 à 1803, à voir, au milieu de son cercle brillant, Mme de Beaumont appuyée sur la parfaite raison, sur l’heureuse humeur de Mme de Vintimille. L’amitié inaltérable que Joubert lui voua, après la mort de celle qui les avait rapprochés, était comme un legs commémoratif de ces soirées pleines de jeunesse et consacrées à l’admiration.

Toutes les questions étaient agitées dans ce petit cénacle, à peine éclairé d’une lampe et dont Saint-Germain et sa femme, les témoins des anciennes splendeurs de l’hôtel Montmorin, étaient les serviteurs discrets et sûrs. On n’y discourait pas seulement sur les productions littéraires ; l’exposition de peinture, aussi bien que les événemens du jour étaient prétexte à une causerie animée. L’art dramatique, qui a toujours passionné l’ancienne société, intéressait autant la nouvelle. Il n’y a rien d’exagéré à dire que le moindre incident se produisant au Théâtre-Français prenait l’importance d’une affaire d’état. Talma était alors arrivé à la plus grande hauteur de l’art du tragédien. M. Julien avait une loge à la Comédie-Française, il la prêtait à Mme de Beaumont. Plusieurs de ses amis étaient des habitués du foyer des acteurs. On se lança donc chez elle, avec frénésie, dans l’engouement d’enthousiasme qui marqua les débuts d’une jeune actrice qui venait de débuter par ordre dans le rôle de Phèdre, Mlle Duchesnois. Cet engouement devint presque du délire, et quand le journaliste Geoffroy osa formuler des critiques et prendre parti pour une autre idole, Mlle George, dans tout l’éclat alors de la jeunesse et de la beauté, ce furent des cris d’anathème partis de toutes les bouches. Nous retrouvons les échos de cette bataille, aujourd’hui oubliée, « dans une lettre écrite à ce moment par Mme de Beaumont à M. Pasquier[2].

  1. Correspondance de Joubert, 22 juillet 1817.
  2. Nous devons communication de cette lettre inédite à la bienveillance de M. le doc d’Audiffret-Pasquier.