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sauvés si nous revenons aux erremens que nos pères ont quittés pour n’être pas perdus !

Ce qu’ils redoutaient, à persister dans l’ancien usage, les législateurs de nos assemblées révolutionnaires et les rédacteurs de notre code civil nous l’ont assez nettement déclaré. On ne peut pas raisonnablement reprocher aux premiers d’avoir manqué de complaisance pour les enfans naturels, puisque, dans l’emportement de leur haine contre toutes les institutions de l’ancien régime, ils avaient assimilé les enfans naturels aux enfans légitimes, sous le prétexte sans doute que « le droit de se reproduire » est au nombre des droits imprescriptibles de l’homme, et qu’ils avaient failli l’inscrire au frontispice de leurs constitutions. « Tous les enfans, indistinctement, ont droit de succéder à ceux qui leur ont donné l’existence. Les différences établies entre eux sont l’effet de l’orgueil et de la superstition. Elles sont ignominieuses et contraires à la justice. » Ces paroles mémorables sont de Cambacérés, et du Cambacérès d’avant le consulat. Quant aux seconds, les hommes de l’empire, qui d’ailleurs procédaient des premiers, leur langage vaut la peine d’être cité textuellement. « Depuis longtemps, dans l’ancien régime » un cri général s’était élevé contre les recherches de paternité. Elles exposaient les tribunaux aux débats les plus scandaleux, aux jugemens les plus arbitraires, à la jurisprudence la plus variable. L’homme dont la conduite était la plus pure, celui même dont les cheveux avaient blanchi dans l’exercice de toutes les vertus, n’était point à l’abri de l’attaque d’une femme impudente ou d’enfans qui lui étaient étrangers. » Ainsi s’exprimait, le 20 ventôse an XI, dans un Exposé des motifs qui valait bien celui de M. Gustave Rivet, Bigot de Préameneu, présentant au corps législatif le titre VII du code civil. Le lendemain, 21 ventôse, au tribunat, Lahary reprenait la même argumentation. « Que de femmes impudentes osaient publier leur faiblesse, sous prétexte de recouvrer leur honneur ! Combien d’intrigans, nés dans la condition la plus abjecte, avaient l’incroyable hardiesse de prétendre s’introduire dans les familles les plus distinguées et surtout les plus opulentes ! On peut consulter à cet égard le Recueil des causes célèbres, et l’on ne saura trop ce qui doit étonner davantage, ou de l’insuffisance de nos lois sur cet important objet, ou de la témérité de ceux qui s’en faisaient un titre pour égarer la justice et troubler la société. » Enfin, quelques jours plus tard, à ces raisons tirées d’une expérience encore toute prochaine, c’était Duveyrier qui joignait les raisons plus profondes, plus hautes, plus philosophiques de l’interdiction de la recherche de la paternité. « La nature ayant dérobé à l’homme le mystère de la paternité à ses facultés morales et philosophiques, aux perceptions les plus subtiles de ses sens, comme aux