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Rétablissons donc les tours. On peut légitimement espérer qu’ils ne favoriseront jamais plus la débauche des filles que leur suppression ne semble avoir encouragé la férocité de certaines mères. Et nul en tout cas ne contestera que l’on enlèverait ainsi, soit à l’avortement, soit à l’infanticide, les excuses dont ils se couvrent devant nos cours d’assises, et qui surprennent si souvent la facile pitié des jurys.

On pourrait, en second lieu, pour protéger la faiblesse de la femme, étendre des filles de seize ans jusqu’aux filles de vingt et un ans les dispositions du Code pénal sur l’enlèvement des filles mineures. Nous allons chercher, en effet, quelquefois bien loin, et peut-être dans le bouleversement de toute une législation, des moyens d’action rapides, simples et sûrs, qui sont là cependant tout à notre portée. — A quoi bon décréter, comme le veut M. Dumas, que l’on classera le séducteur, « plus près de l’un ou plus près de l’autre, au choix de chacun, entre le voleur et le faussaire ? » Car il restera toujours vrai que l’on n’a jamais vu l’or aller de lui-même se placer sous la main du voleur ; ni jamais celui qu’il imite en écriture publique ou privée diriger la plume du faussaire. Ni l’or n’est curieux de savoir ce que c’est que d’être volé, ni le seing d’un banquier de savoir ce que c’est que d’être contrefait. En revanche, on a souvent vu des filles trop curieuses de cesser de l’être. — Mais, puisque le code pénal punit des travaux forcés à temps l’enlèvement ou le détournement de toute fille âgée de moins de seize ans, qu’est-il besoin d’autre chose que de couvrir de la protection de cet article, pendant cinq ans de plus, une fille qui, pour tous les autres actes de la vie, sauf le mariage, est justement considérée comme mineure ? Ne semble-t-il pas bien, à vrai dire, qu’il y ait là une lacune de la loi ? Puisque, en effet, de seize à vingt et un ans, la femme ne peut pas passer outre au consentement de ses ascendans, ce sont donc cinq ans pendant lesquels on la provoque, en quelque sorte, et pendant lesquels on la réduit au moins, sur un caprice ou sur un entraînement, à se faire enlever ou détourner. Jusqu’à seize ans, on la défend contre le séducteur ; à partir de vingt et un ans, on lui permet de l’épouser ; entre seize ans et vingt et un ans, c’est l’âge que l’on a choisi pour la livrer sans défense à elle-même et au séducteur ; car les parens ne peuvent plus traiter le séducteur en criminel, et elle-même, leur consentement manquant, ne peut pas encore en faire son époux. C’est une réforme, aussi bien, que l’on a demandée plus d’une fois. En 1810, notamment, dans le temps même de la rédaction du code pénal, la commission du corps législatif avait proposé d’ajouter aux articles 355 et 356 le paragraphe suivant : « Si la fille âgée de plus de seize ans et de moins de vingt et un ans a consenti à son enlèvement, ou suivi