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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/382

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que la vertu, qui n’est peut-être pas toujours affaire de tempérament, mais qui coûte parfois assez cher à conserver, soit destituée de la très modeste récompense à laquelle elle a droit. Or, c’est inévitablement où l’on aboutit des deux parts quand on réclame une loi qui souffre la recherche de la paternité. Tout ce que l’on peut donc souhaiter, et ce qu’il, est même bon de provoquer, c’est une loi qui ne soit pas pour les filles mères une sorte d’invitation oblique à l’avortement et à l’infanticide ; — une loi qui protège, puisque l’on croit qu’il y a lieu, la faiblesse de la femme contre les entreprises égoïstes de l’homme ; — et une loi enfin qui fasse peser sur le séducteur une part au moins du fardeau que le système de nos codes semble, comme on l’a dit, avoir lié tout entier sur les épaules de la femme.

Pour répondre à la première de ces trois conditions, on pourrait accepter en principe la proposition de M. Dumas sur le rétablissement des tours. — Comment d’ailleurs M. Dumas réussit à concilier ensemble une proposition sur le rétablissement des tours et une proposition sur la recherche de la paternité, c’est ce que je ne conçois pas bien, mais c’est ce que je n’examine point. Il doit avoir son secret, comme il l’a pour concilier le fougueux intérêt que nous le voyons ici prendre à l’éducation intellectuelle et morale des enfans naturels, avec l’insouciance et l’incuriosité relatives qu’il a montrées pour l’éducation morale et intellectuelle des enfans légitimes, quand il traitait jadis la question du divorce. Chacun de nous a sa façon d’entendre la logique. — Mais il me suffit de ne pas discerner quelles bonnes et valables raisons leurs adversaires peuvent sérieusement opposer au rétablissement des tours. Non pas sans doute que, comme l’on a l’air de s’en flatter, si les tours étaient rétablis, on vît aussitôt décroître le nombre des avortemens ou des infanticides et la population augmenter dans des proportions notables. Trop d’autres causes malheureusement font décroître la population, et trop d’autres motifs poussent au crime les mères dénaturées, que la crainte de ne pouvoir pas subvenir aux besoins du nouveau-né, ou que la honte même de produire au monde un enfant sans père ! Si cependant cette honte légitime et cette crainte naturelle ont provoqué plus d’un infanticide et plus d’un avortement, n’est-ce pas assez pour essayer de sauver de la mort ceux qu’elles risqueraient d’y condamner encore ? Et quant au prix, puisqu’il en faut toujours revenir à ce misérable argument, quant au prix que coûterait le rétablissement des tours, « puisque l’on trouve de l’argent pour faire tuer, comme dit M. Dumas, pourquoi n’en trouverait-on pas pour faire vivre ? » Argument d’auteur dramatique, encore ! mais dont nous aimons mieux ici ne pas montrer l’équivoque et le vice.