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politique habile, que des fatalités géographiques lui imposaient d’ailleurs, qui, poursuivie avec une persévérance que rien n’a lassée, a fait la grandeur de cette race de diplomates et de guerriers. Chambéry, Turin, Florence, Rome enfin après Naples, marquent les étapes de cette marche en avant sous une pensée constante, à la réalisation d’une espérance toujours gardée. Les premiers pas sont difficiles : chaque conquête exige de séculaires efforts ; puis les progrès s’accélèrent, et quand l’idée directrice s’incarne enfin dans deux hommes faits l’un pour l’autre, Cavour et Victor-Emmanuel, le cerveau et le bras, l’élan devient irrésistible. Tout concourt au but, tout, les idées les plus divergentes, les volontés les plus opposées, les événemens eux-mêmes les plus contraires dans leurs conséquences logiques : Cavour et Mazzini, Victor Emmanuel et Garibaldi, Napoléon III et Pie IX ; Novare, Custozza et Lissa, comme Goïto, Gaëte et Mentana, Solférino comme Sedan. L’idée maîtresse a vaincu, son triomphe est assuré. Le descendant des ducs de Savoie, l’héritier des rois de Sardaigne, le fils du vaincu de Novare, s’installe au Quirinal à côté du pape, dépouillé de l’antique patrimoine de Saint-Pierre. L’unité de l’Italie est fondée, le rêve impossible est réalisé. C’est un fait accompli devant lequel l’Europe entière s’incline, non toutefois sans une surprise mêlée de doute, sinon de défiance sur la durée de cette nouvelle et merveilleuse création.

« Bien taillé mon fils, disait Catherine de Médicis à Charles IX ; maintenant il faut recoudre. » Pour que cette création fût durable, peut-être fallait-il, en effet, plus de sagesse, de prudence, de fermeté dans l’avenir que le passé n’avait exigé de persévérance, de volonté tenace, d’habileté diplomatique, et même de vertu guerrière. Rudes, nombreuses et de tout ordre ont été les épreuves qu’ont subies les successeurs de Cavour et de Victor-Emmanuel. Ils en ont triomphé, et si, après la prise de Gaëte, ce dernier écrivait au général Menabrea : Grazia a lei, Italia e fatta, son fils, le roi Humbert pouvait l’écrire avec plus de raison encore à son habile ministre des finances, M. Magliani, le jour où, le budget équilibré, le cours forcé des billets de banque fut aboli, et les paiemens en or rendus légaux. Dans ces douze années si pleines qui viennent de s’écouler, quelle a été, quelle devait être la politique des hommes d’état italiens ? Ce fut encore celle de la maison de Savoie, française contre l’Allemagne, allemande contre la France. Seulement nos malheurs mérités imposaient à ces hommes, Italiens avant tout, la seconde partie de l’antique programme : l’Italie devait être et a été allemande contre la France.

Que la reconnaissance soit une vertu qui s’impose aux hommes dans leurs relations sociales et privées, personne ne le conteste, pas