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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/442

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sera pas seulement une satisfaction pour notre orgueil, mais qui sera certainement, dans l’état futur du monde, la dernière ressource de notre grandeur[1]. » Cet empire méditerranéen, salut de la France, c’est aussi le seul que puisse rêver dans l’avenir cette Italie, jeune, ardente, ambitieuse, hantée par les plus glorieux souvenirs : pouvait-elle y renoncer et d’avance s’avouer vaincue ? Non, certes, et elle a courageusement accepté la lutte, — une lutte qu’elle peut, elle aussi, appeler la lutte pour l’existence, the struggle for life. Quelle en sera l’issue ?

Fille aînée de l’Europe, la France a un passé dont les conquêtes font sa force matérielle, dont sa gloire serait de ne pas démériter, dont sa sagesse serait de maintenir toujours vivantes les traditions séculaires. Dernière venue des nations européennes, au milieu desquelles elle n’était guère « qu’une expression géographique, » l’Italie n’a ni passé, ni traditions ; ses richesses sont à créer ou à faire revivre ; — son armée est à peine constituée ; sa marine se ressent encore des tâtonnemens, suites inévitables de toute création nouvelle. La lutte semble donc bien inégale, et si la force seule devait en décider, la force matérielle, les aveux patriotiques que nous avons enregistrés ne laisseraient aucun doute. Mais la France continue sur elle-même, au profit et pour l’instruction des autres peuples, ces expériences de haute métaphysique politique et sociale, inaugurées en 1789 et qui, faisant table rase du passé, bouleversant de fond en comble et les institutions et les mœurs, permettent toutes les suppositions, toutes les craintes, toutes les espérances sur ses destinées futures. Ces expériences trop prolongées, qu’exprime un seul mot, la a révolution, » aboutiront-elles à une rénovation ou à une dissolution de la patrie française ? Dieu le sait, et si nous autres, Français, nous gardons notre foi dans l’avenir de la France, combien de ces peuples étrangers qui nous surveillent et nous jalousent, partagent encore cette foi ? combien, là où nous saluons une aurore, voient seulement les lueurs du crépuscule avant-coureur de la nuit ! Ce doute même d’ailleurs est une faiblesse pour nous, une force contre nous pour les peuples dont la croyance en eux-mêmes n’a ni ces doutes, ni ces défaillances. Telle est cette jeune nation italienne. Dans la lutte qu’elle a acceptée virilement, elle apporte sa foi ardente dans l’avenir, l’union de tous les partis dans les mêmes espérances, l’habileté et la prudente sagesse de ses hommes d’état, la force supérieure d’un gouvernement, fondé sur. la liberté, mais où l’autorité retrouve son action féconde exercée par le chef de cette maison qui a fait la nation elle-même et qui

  1. Prévost-Paradol, la France nouvelle, p. 416, VIe édition, 1868.