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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/468

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lui ni pour les autres, sinon pour le bel Armand, puisque le bel Armand est seul à la connaître, encore au bout de vingt-cinq ans. André Laroche est affligé d’un père régulier, tout comme s’il était fils légitime ; il a échappé sans miracle aux dangers où succombe le Bâtard de Touroude, où triomphent par la grâce paradoxale des auteurs Jacques Vignot, Bernard et le capitaine Daniel. Même, son père selon la loi l’a élevé beaucoup mieux que n’aurait fait son père selon le sang, mieux que ne font la plupart des pères selon la loi et le sang. Enfin nous admettrons volontiers que l’étude des mathématiques et l’usage d’une profession exacte aient pu renforcer la discipline d’un esprit et d’un caractère ainsi formés : André Laroche n’est donc adultérin ni ingénieur que dans un degré supportable pour les gens qui préfèrent les personnages neufs aux personnages de convention.

Quoi de merveilleux si des personnages humains s’ordonnent et se combinent humainement ? M. Victor Jannet n’a pas besoin de traîner par force les deux frères sur la scène, ni de les faire sortir chacun d’une trappe par un sortilège de mécanique théâtrale, pour les heurter l’un contre l’autre ; il les établit tranquillement, sous le regard du père, dans la même maison, où leur rencontre ne sera ni forcée ni fortuite. Cette rencontre est la crise nécessaire où plusieurs séries de causes immatérielles aboutissent ; c’est là que vont se résoudre tous les élémens psychologiques du drame ; c’est le point culminant de l’ouvrage ; on y voit conspirer et s’élever par une sorte d’enflure et de progrès continuels, depuis le commencement du second acte, les trois principaux caractères ; même les personnages accessoires y contribuent par l’évolution logique de leurs sentimens. Ainsi cette situation violente n’est que l’achèvement naturel d’une comédie, et, pour y parvenir, on suit la pente modérée d’une étude morale. Ainsi l’ouvrage se développe avec aisance, comme une plante sortie d’un bon grain pousse droite : par la grâce de son mérite essentiel, la pièce se trouve à la fois une bonne pièce et bien faite.

C’est du moins ce qu’il semble après coup, et l’on n’imagine pas que l’auteur eût pu faire autrement. Est-il besoin de dire que la conduite de ce second acte révèle pourtant un habile homme ? Le premier, d’ailleurs, est net et sobre ; le troisième, quoique d’une facture un peu laborieuse et lourde, ne gâte pas le reste. La langue de M. Jannet, sans valoir celle du maître Augier, est honnête et saine ; son dialogue est facile, vif et ne manque pas d’agrémens ; il sera spirituel avec plus de goût lorsqu’il sera purgé de quelques faux brillans, de quelques répliques trop annoncées par un mot mis exprès, comme une rime par une cheville. On a déclaré que le Bel Armand était le premier ouvrage de M. Jannet ; c’était le premier au-dessus de l’entresol, car M. Jannet avait déjà donné un petit acte au Gymnase ; mais