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comme juge suprême et comme chancelier fait incarcérer certains individus. »

Le juge se rendit au palais du gouverneur, qui excipa de nouveau des pouvoirs illimités dont il se prétendait investi.

— Oseriez-vous, dit-il à Fromentin, adresser un writ d’habeas corpus au capitaine-général de Cuba?

— Non, répondit le juge avec beaucoup de présence d’esprit et de sang-froid : mais je l’adresserais au président des États-Unis s’il se trouvait sous ma juridiction.

Sur ces entrefaites, les papiers dont la saisie avait donné lieu à ces déplorables incidens avaient été examinés, et l’on avait constaté que la succession si bruyamment revendiquée se composait uniquement d’un passif de 157 dollars.

Callava, rendu à la liberté, quitta la Floride et partit pour Washington afin de déposer sa protestation contre le traitement dont il avait été victime. Jackson, de son côté, rendit compte des faits au secrétaire d’état. La violence de son langage trahissait l’irritation profonde que lui avait causée cette nouvelle résistance de l’autorité judiciaire. Suivant sa coutume, il s’efforçait d’attribuer cette résistance à des motifs peu honorables : il accusait le juge de s’être ému de l’arrestation d’un personnage considérable tel que l’ancien gouverneur, après être resté indifférent à celle du modeste officier Dominique Sousa. « Il faudrait en conclure, disait-il, que les lois des États-Unis ne sont faites que pour frapper les humbles et les pauvres, mais que lorsqu’elles atteignent la richesse et la puissance, elles ne sont plus qu’une lettre morte ou du moins qu’on ne doit plus les appliquer qu’avec une sorte de délicatesse et de respect. »

Cette fois encore le gouvernement soutint Jackson, mais les embarras sans cesse renaissans que causaient ses emportemens et son dédain pour la légalité commençaient à préoccuper le cabinet, et J. Q. Adams avouait qu’il tremblait à l’arrivée de chaque courrier de la Floride, tant il redoutait d’apprendre quelque nouvelle incartade du terrible gouverneur.

La popularité de Jackson était d’ailleurs bien loin d’en souffrir. L’opinion des masses restait indifférente à ces attentats répétés contre la liberté individuelle, le droit des gens et l’indépendance du pouvoir judiciaire, et les récits que répandaient dans le public les amis de Jackson affectaient de le représenter comme l’intrépide défenseur des petits contre les riches et les grands. Il est malheureusement plus aisé d’éveiller dans les foules les instincts de haine et d’envie qui fermentent dans les bas-fonds de la nature humaine que d’y entretenir le culte élevé et désintéressé du droit. C’est un art vulgaire et grossier qu’ont pratiqué dans tous les temps les