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plusieurs, sinon se rapprocher ouvertement, au moins nous témoigner une sympathie qui aurait pu devenir le prélude d’une amitié plus solide. Par malheur, ces jours de sagesse et de fermeté n’ont point duré. Exploitée par les passions de parti, la politique extérieure est devenue chez nous une arme venimeuse, empoisonnée de calomnies infâmes, qui n’a servi qu’à augmenter encore nos divisions intérieures. Nous avons renoncé à l’Égypte à seule fin de renverser ou d’empêcher de naître des cabinets. Dès lors, notre prestige, un instant rétabli, s’est éclipsé tout à fait. Personne n’a plus eu la moindre velléité de s’unir à un pays assez démoralisé pour sacrifier la Méditerranée à de misérables querelles intestines. L’exemple de l’Angleterre, qui, après avoir consenti pendant plusieurs années à nous faire en Égypte des concessions énormes, se voyait abandonnée par nous, à l’heure du péril, sans autre motif de rupture que les haines personnelles de quelques ambitieux se disputant le pouvoir, a dégoûté tous ceux qui auraient songé à l’imiter.

A quoi bon d’ailleurs? Est-ce qu’il est possible de s’allier avec un peuple qui, chaque jour, change de ministère, et où chaque ministère, loin de se croire lié par les engagemens de ses prédécesseurs, n’a rien de plus pressé que de les déchirer? Est-ce qu’il est possible de faire front sur un gouvernement dont les titulaires varient sans cesse et dont la politique n’offre pas moins d’instabilité? Chacun s’est donc mis à agir comme si la France n’existait pas. L’Angleterre a commencé. A peine installée en Égypte, elle a dénoncé les conventions qu’elle y avait faites avec nous; nous avons protesté ; elle nous a laissés dire. Elle savait fort bien que ce qu’un de nos ministres n’acceptait pas, un autre, qui ne tarderait guère à venir, le subirait en silence, ne fût-ce que pour se distinguer de celui qui l’avait précédé. Elle a assisté froidement aux réclamations de M. Duclerc et a souri de ses menaces. M. Duclerc parlait du lendemain. Singulière prétention chez un ministre français ! Le lendemain ne devait pas être les représailles de la France, mais la chute de M. Duclerc. L’Angleterre ne l’ignorait pas, et elle attendait! Les Égyptiens ne l’ignoraient pas davantage; car les fluctuations de notre politique intérieure ne nous enlèvent pas seulement l’alliance des grandes nations, elles nous font perdre aussi la confiance des petits peuples qui jadis avaient l’habitude de s’appuyer sur nous. Lorsqu’on disait aux ministres égyptiens : « Ne vous jetez pas dans les bras des Anglais; essayez de résister, » ils répondaient aussitôt : « et qui nous soutiendra? La France? Mais elle nous a déjà abandonnés. On rejette, il est vrai, toute la faute sur M. de Freycinet et l’on nous affirme que son successeur est d’une autre trempe que lui. Il y paraît, en effet, à la résolution de son langage. Mais sera-t-il ministre dans un mois ? Et s’il ne l’est plus,